
Eva Freud (1924-1934)
Robe tricotée, cheveux courts et assise sur les genoux de son grand père, Sigmund Freud (père de la psychanalyse), Eva Freud n’a que quelques années sur cette photo. Eva et ses parents, de confession Juive, durent fuir le nazisme en 1933. Elle avait 9 ans lorsqu’elle arriva à Paris puis déménagea à Nice. Agée de 10 ans, en 1934, Eva fut scolarisée cette année-là au Collège et lycée de filles de Nice. Naturalisée en 1938, puis dénaturalisée au cours de l’année 1940, sa famille dut faire face a la spoliation de ses biens et notamment des deux studios photo qui permettaient à Oliver [le père d’Eva] de faire vivre sa famille à Nice, en vertu des lois anti-juives de Vichy. Le 11 novembre 1942, Hitler déclenche l’opération « Attila ». En réponse au débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, l’armée allemande franchit la ligne de démarcation qui sépare la France occupée de la France dite « libre » depuis l’armistice de 1940. Pour la famille Freud, il faut fuir à nouveau. Cette fois-ci aux Etats-Unis. En opposition avec la figure parentale, et surtout retenue par un amour de jeunesse, elle refusa de suivre ses parents aux États Unis.
Au collège et Lycée de Nice, des jeunes filles se côtoyèrent pendant la guerre. Certaines étaient juives et, parmi elles, certaines moururent, d’autres survécurent… Eva fit ainsi la rencontre de Nicole Dreyfus [voir ci après], élève elle aussi au lycée de jeunes filles, avec laquelle elle échangea notamment sur les relations conflictuelles avec sa mère.
Toujours au sein du lycée, elle croisa le chemin de Simone Veil, qui avait trois ans de moins qu’elle, cette dernière évoqua Eva dans son autobiographie (Veil, 2007). Elles eurent des destins tragiques qui se firent étrangement résonance. Alors que Simone Veil fut arrêtée à Nice puis subit le traumatisme de la déportation et qu’elle mit plus tard en œuvre la loi sur l’IVG, Eva Freud échappa aux bourreaux, mais mourut des suites d’un avortement clandestin. Eva Freud, née à Berlin en 1924, mourut à 20 ans, à Marseille, au moment de la libération de Nice en 1944, lors d’une intervention chirurgicale sur des abcès au cerveau consécutifs à une septicémie provoquée par un avortement. Mais ses parents, sa famille ne surent jamais les causes réelles du décès. Étrangement, dans la famille Freud, la grippe espagnole réapparaît comme prétexte pour masquer le décès lié à une grossesse non désirée, celle de la tante d’Eva, Sophie, survenu quelques années avant celui d’Eva. Ce motif a également été utilisé pour dissimuler les véritables causes du décès d’Eva à sa famille.

Simone Jacob & Denise Jacob
Simone Jacob, plus connue sous le nom de Simone Veil, fera sa scolarité ainsi que sa sœur Denise, future Denise Vernay, au lycée de jeunes filles de Nice.
À Nice, le 13 juillet 1927, une petite fille voit le jour. Elle s’appelle Simone Jacob. Au moment de sa naissance, la famille a déménagé à Nice. Son père pense, que la Côte d’Azur, qui attirait déjà depuis la fin du XIXe siècle, un certain nombre de gens riches et de puissants, allait devenir un nouvel eldorado.
A partir de 1924 les valises de la famille sont posées à Nice. Le père est architecte et la mère avait abandonné ses études de chimie, qui la passionnaient, pour se consacrer à sa famille. Les affaires du père fonctionnent. Possédant son propre cabinet, le père est installé dans une des pièces de l’appartement bourgeois de la famille, dans le quartier des Musiciens à Nice où les nombreuses habitations, notamment de style Belle Époque, faisant face à la mer, conservent encore le souvenir de la noblesse européenne, de l’aristocratie russe. « Une enfance heureuse, cela vous comble pour la vie », dira Simone Veil en 2007. C’est avec des yeux d’enfants que Simone Veil conserve des souvenirs de cette époque, de cette douceur de vivre sur la Côte d’Azur, alors emplie du confort qui régnait à la fin des années 20.
Le 24 octobre 1929, c’est le Krach. Le chômage augmente sensiblement à Nice. À la maison, la situation financière se dégrade rapidement. Les commandes se raréfient, il faut vendre la voiture, quitter le bel appartement pour un autre plus petit, vendre les meubles et quitter la vue sur la Promenade des Anglais pour la vue sur la campagne de l’arrière-pays niçois. Aggravé par l’interdiction du père d’exercer sa profession dès septembre 1939. C’est dans cet environnement que grandit la jeune Simone. Elle est très liée avec ses sœurs aînées qui veillent sur elle avec la plus grande attention.
A l’école, Simone passe les classes aisément. Dans la famille Jacob, le désintérêt de la politique – voulu par la figure paternelle – expire avec la multiplication des événements antisémites – Nuit de Cristal 38 – et l’arrivée des familles juives de toute l’Europe – 1933-1939 – afin de fuir le nazisme. Les intellectuelles juifs Allemands fuient et, c’est à ce moment là, que la famille Freud se lie d’amitié avec la famille Jacob et Simone avec Eva.
Le , alors qu’elle va, avec un ami, rejoindre les filles de sa classe pour fêter la fin des épreuves du baccalauréat [qu’elle obtiendra], elle est contrôlée par deux Allemands qui détectent la falsification de sa carte d’identité et l’arrêtent. Elle est déportée dans un premier temps au camp de Drancy, puis à Auschwitz-Birkenau et enfin au camp de Bobrek, elle en reviendra vivante.
Désormais marquée d’un tatouage, preuve de la barbarie nazie, elle sera conseillère technique au Garde des Sceaux et première femme à être nommée Secrétaire Générale du Conseil Supérieur de la Magistrature. De 1974 a 1976, elle est nommée ministre de la santé et elle sera porteuse de la Loi sur l’interruption de grossesse volontaire, entrée dans la Constitution Française. Le combat que Simone Veil mena en faveur des femmes est né dans le rapport que Simone, adolescente, entretenait avec la figure maternelle, celle ci avait renoncé à sa vie professionnelle à la demande de son mari. Ce que la jeune fille jugeait injuste. L’injustice est devenue pour elle la cause principale de son combat.
Grande supportrice du projet européen, elle sera Présidente du Parlement Européen de 1979 à 1982. Ce sera aussi elle, qui prendra place dans le fauteuil de Racine, à l’Académie Française en 2008.

Denise, figure moins médiatisée ou plutôt oubliée avec le temps, sœur aînée de Simone nait le 24 juin 1924. Passons les détails de l’installation de la famille, déjà expliqués plus haut.
Le 9 septembre 1939, la Gestapo s’installe à Nice. Le nouveau « statut des Juifs » décrété par Vichy prive alors le père du droit d’exercer son métier. La pénurie s’installe. Denise donne déjà des leçons particulières de mathématiques pour aider sa famille. A la rentrée scolaire de 1940, elle entre en classe de première au lycée de jeunes filles. A 17 ans, contrairement à sa sœur [Simone] qui ne se démarquait pas par son engagement politique, au lycée et sous l’Occupation, Denise inscrivait au tableau noir avec une camarade les mots d’ordre et les messages diffusés par Radio Londres [nom donné aux programmes en langue française, dans le studio de la section française de la BBC, à la suite de l’appel du puis diffuse des tracts. C’est son premier acte de résistance. Éclaireuse puis cheftaine à la section neutre de la Fédération française des éclaireuses, branche du scoutisme laïque, elle est totémisée Miarka, (nom d’une héroïne bohémienne). En 1941, elle obtient le baccalauréat de philosophie et de mathématiques.
À l’automne , les rafles d’étrangers juifs s’intensifient, elle rejoint l’Union générale des israélites de France, munie de faux papiers, elle aide à cacher des enfants et parents juifs.
En , alors qu’elle participe à un camp de cheftaines éclaireuses avec sa sœur aînée Madeleine (dites : « Milou »), leur père les avertit de l’intensification des rafles. Elle suit le conseil de son père de ne pas revenir à Nice dans sa famille : Denise entre en contact avec la Résistance : c’est décidé, elle rejoindra une amie cheftaine dans l’Isère qui l’héberge. Mise en contact avec le mouvement Franc-Tireur, elle devient agent de liaison au sein du mouvement lyonnais à 19 ans, en , sous le nom de code de Miarka, hérité des éclaireuses. D’octobre 1943 à mai 1944, elle se charge de glisser du courrier clandestin dans les boites aux lettres du centre-ville de Lyon et de diffuser le journal clandestin ; Franc-Tireur.
Le , elle retourne à Nice où elle retrouve ses parents pour les 21 ans de sa sœur Madeleine. Ce fut sa dernière réunion de famille, car seulement dix jours plus tard, tous seront déportés. Miarka de retour à Lyon se met alors entièrement au service du mouvement « Franc-tireur ». Elle ne reverra jamais son frère Antoine, sa mère et son père.
Au début du mois d’, elle quitte Lyon pour Annecy et devient agent de liaison des Mouvements unis de la Résistance en Haute-Savoie, sous le nom, cette fois ci, de Annie. Elle se porte volontaire pour, dans un premier temps, récupérer en Saône-et-Loire du matériel qui a été parachuté, pour l’acheminer vers le maquis des Glières. Elle effectue alors 240 km à bicyclette jusqu’à Clun – La distance moyenne d’une étape du Tour de France (homme) est de 160 km –, où elle récupère les postes émetteurs, et les achemine en taxi jusqu’à Caluire, où elle est hébergée par une cadre de la Fédération française des éclaireuses. Le lendemain, le , alors qu’elle est en route pour déposer le matériel à la gare d’Aix-les-Bains, son taxi est arrêté par une milice de la Gestapo entre Bourgoin et La Tour du Pin. Elle est conduite au siège de la Gestapo de Lyon, place Bellecour, où elle est torturée par les hommes de Klaus Barbie, elle est soumise à la torture par l’eau.
Denise est transférée de prison en prison pour enfin arriver au camp de Ravensbruck en juillet 1944. A la différence des autres membres de sa famille, elle est déportée en tant que résistante. Denise se distingue une nouvelle fois par son héroïsme et son courage : au camp, alors même épuisée par les conditions invivables du camp, elle prend volontairement la place de camarades polonaises épuisées par les expérimentations médicales, pour endurer a leur place les interminables appels, en témoignera son amie Germaine Tilion (autrice de :Une opérette à Ravensbrück, Le Verfügbar aux Enfers). Le camp est libéré le 21 avril 1945.
Sa mère et ses sœurs on été déportées à Auschwitz. Sa mère meurt ; Simone et Madeleine sont libérées en . Quelques années plus tard, Milou meurt le .
Les sœurs Jacob, survivantes de la barbarie du régime nazi, resteront un modèle de courage et d’héroïsme pour l’humanité.

Nicole Dreyfus
À la mort de son père, en 1937, elle s’installa avec sa mère à Nice où elle fut inscrite au lycée de jeunes filles. C’est à cette époque qu’elle fit la connaissance d’Eva qui avait exactement le même âge qu’elle. En 1943, à l’arrivée des Allemands à Nice, Nicole et sa mère obtinrent des faux papiers par un réseau de Résistance et se cachèrent à Monaco. En mars 1944, avec l’aide de cousins qui vivaient en Suisse, elles trouvèrent refuge à Megève jusqu’à la fin de la guerre. À la Libération, elle obtient sa licence en droit et en 1946, à l’âge de 22 ans, la descendante du célèbre Alfred Dreyfus, prête serment et devient avocate.
Militante du parti communiste, inscrite depuis 1949, elle s’était très vite engagée dans de nombreux procès politiques en plaidant pour les militants algériens du Front de libération nationale (FLN) – organisation pour l’indépendance de l’Algérie, alors colonie de la France -, à la fin des années 1950 et au début des années 1960. En 1957, elle a défendu, à Alger, deux jeunes filles mineures, Baya Hocine et Djaouher Akrour, accusées d’actes de terrorisme. Ce qu’elle considérera plus tard comme l’épreuve la plus difficile. Bien qu’elles aient été condamnées à mort, leur jugement a été annulé par la Cour de cassation. Puis elle sera chargée de la défense de Zohra Drif, dirigeante du FLN pendant la bataille d’Alger. La défense de nombreux militants du FLN lui a valu des menaces de mort à Alger.
Comment être Dreyfusard aujourd’hui ? Nicole essaiera de répondre, « J’ai retrouvé dans la guerre d’Algérie l’exaltation qu’ont dû connaître les dreyfusards, en raison de notre certitude absolue d’être du côté du droit. », dira t’elle. Son combat était motivé par la défense, d’une manière ou d’une autre car les temps ont changé, des intérêts précédemment défendus pour et par les « justes ». « Être Dreyfusard au temps de la guerre d’Algérie, c’était soutenir par tous les moyens le peuple algérien ». Mais Nicole savait aussi, faire la part des choses, car en temps de guerre rien n’est tout blanc ni tout noir. Elle reconnut que « les moyens qu[e] [les militants de l’indépendance Algérienne] employaient, n’étaient pas toujours conformes à la morale, […] mais leur cause était juste, et, pour moi, c’était le principal. » Alors, à chacun de penser ce qui est juste ou non, mais il est important de souligner la fidélité de Nicole, femme avocate dans les années cinquante, à ses convictions morales. « Les moyens engagés contre eux étaient, eux aussi, contraires à la morale : tortures, assassinats, consistant à abattre des prisonniers au prétexte d’une tentative d’évasion, autant de méthodes employées systématiquement par l’armée à l’encontre d’algériens engagés dans ce combat légitime. »

Michèle Cotta
Ultime figure, élève au lycée de jeunes filles : Michèle Cotta. Elle est la fille du premier maire de Nice, Jacques Cotta, élu après la Libération. Diplômée de SciencesPo Paris en 1959, elle soutient ensuite sa thèse de doctorat à la Fondation Nationale des Sciences Politiques.
Elle a commencé sa carrière de journaliste politique à Combat où, elle obtient, la première, un entretien avec François Mitterrand – futur président en 1981. Le 5 mai 1981, avant le second tour de l’élection présidentielle, elle anime, avec Jean Boissonnat, le débat électoral entre le président sortant, Valéry Giscard d’Estaing, et le candidat François Mitterrand. En juillet 1981, Michèle Cotta est nommée par le Premier Ministre, Pierre Mauroy, avec l’accord de François Mitterrand, présidente-directrice de Radio France. Son mandat est prévu pour durer initialement trois ans, mais elle assurera, finalement, jusqu’en 1986 la fonction de présidente de la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) –aujourd’hui l’ARCOM-.
Michèle Cotta a été directrice de l’information à TF1 entre 1987 et 1992 et directrice générale de France 2 entre 1999 à 2002. Chroniqueuse politique au magazine Le Nouvel Économiste. Journaliste politique, hautement aguerrie, elle est aussi l’auteure de nombreux essais politiques comme Ma Cinquième (2023). Il relate l’instauration de la Ve République, jusqu’à la première alternance -qui n’est advenue qu’en 1981-. De ce petit quart de siècle, il est restitué l’atmosphère politique.
Elle reçoit, le 4 avril 2009, le prix du « livre politique » pour le deuxième tome de ses Cahiers secrets de la Ve République. Tantôt observatrice, tantôt actrice, toujours lucide, elle fait la lumière sur les événements qui ont forgé la France d’aujourd’hui de son regard éclairé de journaliste. Elle donne encore régulièrement des interviews, riches en informations et en détails historiques.
« Ce n’est pas sans émotion qu’il m’arrive presque vingt ans plus tard, de penser à ces « années Lycée Calmette » et je souhaite à tous ses futurs élèves de s’y forger de si mémorables souvenirs. »
D. Aubespin
Arthur NUTTE PLENT
〉Sources (Liste non exhaustive) ; Association des Anciennes et Anciens du Lycée Calmette de Nice, Wikipedia (1), (2), (3), (4), (5) RFPSY (Eva Freud), Ouvrage ; Qui a tué Eva Freud ? (2018), Fondation de la Résistance, citation ; AAADLC
