« This is America » un clip symbolique

Le nouveau titre « This is America » du rappeur américain Childish Gambino illustre les violences faites aux Noirs américains aux États-Unis.

Pour une meilleure compréhension du clip vidéo, écoutez la musique une fois, puis regardez le clip avec le son, enfin, ne vous concentrez que sur l’arrière-plan. Vous pourrez identifier grâce à la mélodie et aux images, les multiples symboles et représentations que le chanteur a illustré. L’interprétation sera différente pour chaque individu.

Voici le lien de la vidéo : https://www.youtube.com/watch?v=VYOjWnS4cMY

Retirez vos écouteurs et laissez-moi vous donner mon avis sur ce clip. Peut-être est-il différent du vôtre ? S’il l’est, n’hésitez pas à envoyer au journal des choses que vous auriez vues et interprétées d’une manière différente.

Sur un air soul funk, le rappeur, barbe et cheveux négligés, chaîne au cou, torse nu, danse au milieu d’un hangar. Ces caractéristiques physiques lui enlèvent une part d’humanité et interpellent les spectateurs sur l’anormalité du personnage. Serait-il fou ? De plus, il grimace et a une position particulière qui peut laisser penser aux ménestrels* dans l’air de Jim Crow.

L’innocence de la première scène est illustrée par la couleur principale : le blanc, symbole de paix et le musicien jouant un air doux à la guitare, accompagnant les chants africains semblables aux « worksong ». Lors de l’exécution des tâches inhumaines à faire dans les champs, les esclaves noirs chantaient leur chagrin et leur douleur à travers la musique. Le bruit de pioches peut en être le lien dans le clip.

Sans que le spectateur ne s’y attende, le rappeur tire un coup de feu dans la tête du musicien soudain recouverte. Cet assassinat reflète les meurtres sans raison des Noirs par la police américaine aux Etats-Unis : l’innocent injustement tué. Une autre interprétation est celle qui se passe souvent dans les gangs de rues : les plus connus sont les « Cribs » et les « Bloods » qui, depuis leur fondation en 1972 à Los Angeles, sont en combat incessant. Lorsqu’un homme noir tue un autre homme noir cela correspond au « Black on Black crimes ». Le pistolet est ensuite soigneusement récupéré dans un petit tissu rouge malgré le crime commis. Serait-ce un clin d’œil à toutes les exécutions des Noirs américains dont la police et l’État ne parlent pas et de l’autorisation des armes dans le pays ?

On voit le rappeur accompagné d’une troupe de jeunes étudiants qui dansent avec lui une chorégraphie mixant des pas d’une danse africaine le « GwaraGwara » et de « shoot dance » (populaire sur le net). On pourrait s’attendre à voir Childish Gambino tirer sur le groupe ; pourtant, il ne le fait pas. Une image indirecte de la représentation des Etats-Unis est ainsi donnée : le chanteur correspond à l’Amérique épargnant les haut-placés dans la société qui sont incarnés par les jeunes.

La scène dans laquelle des jeunes sont munis de leurs smartphones pour filmer ce qu’ils voient montre que les téléphones sont des outils de preuves de toutes les violences grâce auxquels un individu peut à la fois immortaliser une scène mais les utiliser aussi comme une barrière face à la réalité : le regard direct sur les choses est limité. On peut se faire sa propre idée sans avoir le choc brutal de la proximité avec l’action.

De plus, l’apparition d’un cheval blanc monté d’une personne vêtue de noir symbolise la mort qui est omniprésente en Amérique.

A deux minutes quarante-huit, est-ce que les 17 secondes de silence sont supposées être laissées en mémoire des 17 victimes en Floride ? La position de tir du rappeur peut laisser le doute. Effectivement, le mercredi 14 février 2018, une fusillade dans un lycée de Parkland en Floride a fait dix-sept morts et de nombreux blessés. L’auteur, un jeune homme de 19 ans, ancien élève de l’établissement, était armé d’un fusil d’assaut semi-automatique AR-15.

A la fin du clip, le rappeur danse sur une voiture comme Mickael Jackson dans sa chanson« Black or White ». Sur le capot d’un véhicule est assise la compositrice Noire américaine de R&B SZA. Un clin d’œil à des personnalités afro-méricaines qui ont eu une influence importante dans le monde de la musique.

Tout au long du clip, l’arrière-plan permet de visualiser des scènes d’agressions, des courses poursuites entre des policiers et des personnes Noires et la présence de tous types d’armes sont présentes. Childisch Gambino dénonce la violence envers les Noirs par les Blancs mais aussi par les Noirs et l’autorisation de la possession d’armes aux États-Unis.

Une ambiance s’installe lors des deux types de mélodies : joyeuse grâce aux chants africains qui incitent à la fête et celle, angoissante et agressive, pendant le rap. Les paroles ont aussi leur importance: « You just a Black man in this world. (T’es juste un Noir dans ce monde) You just a barcode. (T’es juste un code-barres)». La société américaine fait sentir les Noirs comme des objets, des codes-barres. « This is America. Don’t catch you slippin’ up. Look what I’m whippin’ up. (Ici, c’est l’Amérique. Ne te fais pas avoir par surprise. Regarde ce que je suscite) » signifie que les Noirs américains sont toujours une cible de violence et d’agression.

Ce clip fait passer un message sur la réalité du lobbying des armes, des bavures policières, de l’injustice que vivent les Noirs et l’aveuglement d’une part de la population face aux évènements qui en effet, auraient pu déjà prendre fin depuis longtemps si toute cette haine envers cette communauté avait cessé. Pourtant, nombreux sont les projets, les associations, les manifestations, les boycotts, les personnalités qui ont lutté contre le racisme et les discriminations raciales depuis des siècles.

« This Is America » a remporté deux Grammy Awards pour la meilleure performance rap et la meilleure vidéo musicale.

Childish Gambino a dénoncé un monde injuste et intolérant à sa manière, la musique. Chacun peut se construire sa propre idée et vision du clip : de nombreuses discussions, interrogations et débats se sont déjà ouvert. Peut-être ne donnera-t-il jamais sa propre intention et interprétation.

N’est-ce pas, au final, le but de l’Art ?

Mathilde Hay

* Dans les années 1840, «Daddy» Rice, un dramaturge américain blanc, se peignait le visage en noir (blackface) pour interpréter un ménestrel appelé Jim Crow. Cette performance consistait à faire rire et se moquer des personnes noires à travers les chants, danses, musiques et intermèdes comiques. Le but était de les faire sentir inférieurs et de les isoler de la société. Ces lois ont été promulguées dans les États du Sud des États-Unis après la Guerre de Sécession (1861 -1865).