Broken Rage – L’avis de Clément

Je n’avais vu qu’un film de Takeshi Kitano auparavant (Hanabi), très sérieux dans mon souvenir, et je ne m’attendais pas à autant rire, surtout dans la deuxième moitié du film. En effet, le film est scindé en deux parties distinctes : dans la première, l’intrigue (un tueur à gage est amené à collaborer avec la police pour démanteler un réseau de trafiquants de drogue) est présentée de façon classique, tandis que dans la deuxième partie, elle est reprise de manière totalement burlesque, avec des gags et des situations en décalage total avec les enjeux. Ce que je ne savais pas, c’est que Kitano a mené une carrière de comédien et de présentateur TV comique parallèlement au cinéma. L’auto-dérision fait partie de ses procédés de prédilection, et en voyant ce film, on retrouve tout-à-fait cet humour.

Dans la première partie, tout se passe comme sur des roulettes, la mission se déroule normalement alors que l’on s’attend à un retournement de situation ou à un déchaînement de violence. Mais rien. Il y a comme une certaine tension, une rage contenue. Par contre, dans la seconde partie, rien ne se passe comme prévu. Elle fait office de réécriture du film dans le film. Ici non plus, rien ne se passe comme nous nous y attendons, mais pas comme dans la première partie : ici, le personnage interprété par Kitano est totalement à côté de la plaque, oubliant de préparer son alibi ou se trompant de cible.

Et ainsi, le récit qui paraissait trop parfait dans la première partie prend une tournure plus humaine, peut-être même plus cohérente. Même si certains passages tournent au gag, ils permettent de mieux comprendre certaines scènes qui dans la première partie paraissaient étranges (comme le comportement de Kitano dans la scène de la salle de sport !), et comment il a été repéré par la police et amené à collaborer avec elle.

Donc j’en suis venu  à voir le film de cette manière : la première partie est une version idéalisée des événements et la seconde apporte plus de vraisemblance (sur ce qui s’est passé, comme une sorte d’effet Rashomon*).

C’est un exercice de style très intéressant que Kitano nous propose ici, et l’aspect humoristique est vraiment bien réussi. L’œuvre réussit à ne pas être redondante ni même ennuyeuse, grâce à toutes les idées et les gags que Kitano propose pour nous faire rire à gorge déployée. Il faut dire aussi que le film est très court : 60 minutes. Le principe du remake, qui est rarement une bonne chose, est ici incorporé dans l’œuvre elle-même qui s’auto-parodie, de façon assumée. Le réalisateur n’a pas peur d’aller loin dans ses propositions, et c’est ce qui nous donne envie de le suivre.

Clément Bouchard

* L’effet Rashōmon désigne le fait qu’un événement puisse être interprété différemment selon les individus impliqués. Ce nom provient du film Rashōmon (1950) d’Akira Kurosawa dans lequel un meurtre est décrit par quatre témoins qui donnent chacun leur propre version.

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