La démocratie à l’épreuve de Trump

Cent jours après le début du second mandat de Donald Trump, la démocratie américaine a pris un sacré coup. Trump entend gouverner comme il veut pour ce qu’il estime être le bien de son peuple, semblant parfois considérer la démocratie comme nuisible à l’application de sa volonté.

Un illibéral1 dans l’âme

Donald Trump gouverne aujourd’hui, et encore plus que pendant son premier mandat, en passant outre l’État de droit. Il affirme diriger les États-Unis au nom de la majorité qui l’a élu, quitte à faire passer les principes démocratiques au second, voire au troisième plan. Profitant de la légitimité de son pouvoir – il a été élu démocratiquement, à la majorité du collège électoral et du vote populaire – il préside en contournant le Congrès américain. Il a signé 26 décrets dès son premier jour et 197 en cent jours. Il a gracié plus de 1500 de ses partisans condamnés pour la tentative de prise d’assaut du Capitole (haut-lieu de la démocratie états-unienne) en janvier 2021, supprimé toutes les politiques sociales fédérales en faveur de la diversité et de l’inclusion, “restauré la vérité biologique”2 au sein de l’État fédéral, niant l’existence même des personnes trans- et intersexes, sorti les États-Unis de l’Accord de Paris sur le Climat (à nouveau), de l’OMS et du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, et supprimé la plus grande agence d’aide humanitaire au monde, l’USAID. Il a même signé un décret obligeant les fournisseurs d’eau à augmenter la pression dans les pommeaux de douche… Tout cela sans aucun vote du Sénat ni de la Chambre des représentants. Donald Trump affirme prendre ces décisions pour le bien de son peuple, argument typique du populisme. Il gouverne au nom de sa majorité, sans aucun respect pour ceux qui n’ont pas voté pour lui, et encore moins pour l’Etat de droit. La démocratie semble être pour lui une entrave à la mise en place de ses décisions. Il est l’illustration parfaite de deux idées développées par Alexis de Tocqueville au milieu du XIX°: le despotisme démocratique et la tyrannie de la majorité.

Donald Trump signe un décret le 20 janvier 2025, jour de son investiture – domaine public

Un populiste pur et dur

La menace de Trump sur l’État de droit et la séparation des pouvoirs est réelle. Il remet en question celle-ci en ridiculisant et même en menaçant les juges qui s’opposent à lui. Donald Trump fait partie des dirigeants d’une extrême-droite populiste pseudo-démocratique, qui ne s’encombre pas des règles de l’État de droit. Dans ce système institutionnel, la puissance publique est soumise au droit. Autrement dit, c’est un système dans lequel ceux qui gouvernent sont soumis aux mêmes lois, aux mêmes droits et aux mêmes devoirs que tous les autres citoyens. Trump estime que ses opposants ne sont pas dignes de respect – on pense à la tyrannie de la majorité. Il n’y a qu’à voir la manière dont il qualifiait son adversaire Kamala Harris pendant la campagne électorale : “Vice-présidente de merde”, “Dégage !”,  l’accuse d’avoir détruit les États-Unis, la traitant tout à la fois de “marxiste”, de “communiste” voire de  “fasciste”3. Le Parti Républicain incarné par Trump est devenu le parti qui refuse le politiquement correct et qui repousse les limites de la bien-pensance, de ce qu’on peut dire ou pas, et cela séduit un grand électorat, essentiellement abstentionniste.

Une des caractéristiques principales des populistes est de présenter des solutions simplifiées voire simplistes à des problèmes complexes. Pour Trump, le responsable de tous les maux des États-Unis, c’est l’État, qui serait trop présent, trop bureaucratique et prisonnier d’une “élite woke”. Il a donc engagé Elon Musk pour démanteler l’État fédéral, via le Department of Government Efficiency (abrégé en DOGE, référence également au Dogecoin, crypto monnaie de Musk). Avec cette agence gouvernementale, Musk entend sabrer les dépenses de l’État fédéral au maximum, en supprimant tout ce qui ne sert à rien selon lui. Une référence explicite à la politique du président argentin Javier Milei, qui faisait campagne avec une tronçonneuse, symbolisant les coupes budgétaires brutales à venir. Milei a d’ailleurs récemment offert une tronçonneuse à Musk lors d’un meeting.

Un rapport aux médias bien différent

Depuis son arrivée à la Maison Blanche, Trump s’en prend ouvertement à la liberté de la presse. Il refuse par exemple aux journalistes d’Associated Press (AP) l’accès à la Maison Blanche et à Air Force One parce qu’ils continuent de parler du “Golfe du Mexique” au lieu du “Golfe d’Amérique”, qui est la nouvelle appellation décidée par le Président4. Les journaux doivent servir ses intérêts ou disparaître. Ainsi, il fait traquer les journaux et journalistes qui lui sont opposés. On le voit par exemple dans les conférences de presse que donne la porte-parole de la Maison Blanche Karoline Leavitt. Elle entretient le même mépris que Trump envers les médias traditionnels (désignés par Trump comme des “Fake News Media”), par opposition aux nouveaux podcasteurs et influenceurs du mouvement MAGA tels que Laura Loomer ou Andrew Tate. Les questions des journalistes traditionnels sont ignorées lorsqu’ils ne se voient pas interdire l’accès aux conférences de presse. Trump entretient par ailleurs une saturation médiatique qui fait tourner la tête, notamment sur le réseau Truth Social, qu’il possède. Il commente absolument toutes ses activités officielles, en traitant l’ensemble des informations sur le même plan, empêchant de distinguer l’accessoire de l’essentiel. Il s’exprime alternativement sur ses rencontres avec le président Zelensky ou le roi Abdallah II de Jordanie, ou sur les événements sportifs auxquels il assiste (comme le Super Bowl) ou encore sur les conférences de presse lors desquelles il signe des décrets. Sur les réseaux sociaux, il lutte activement contre toute critique à son encontre, les taxant d’entrave à la liberté d’expression, faisant craindre une désinformation généralisée. Trump s’en prend également à la recherche universitaire en publiant un index de mots dorénavant interdits d’emploi pour tous les travaux des scientifiques américains bénéficiant de subventions publiques. Ceux-ci n’ont plus le droit de parler explicitement des femmes, des inégalités, du changement climatique, des minorités… Cette liste a été officialisée par un memorandum, ceci toujours sans l’accord du Congrès. Trump a également supprimé des sites internet du gouvernement toutes les pages concernant le changement climatique et les politiques d’égalité. Il a même supprimé la page en espagnol du site de la Maison Blanche, alors que près de 20% des états-uniens parlent espagnol.

Une menace explicite pour les démocraties européennes

Le rôle des États-Unis dans les relations internationales est tel que si la démocratie américaine vacille, on peut craindre des répercussions sur les démocraties du monde entier. Les interventions de toute l’administration Trump semblent ne rien arranger. Par exemple, à la Conférence de Munich sur la Sécurité, le 14 février dernier, le vice-président américain J. D. Vance a tenu un discours qui a sidéré les européens présents dans l’audience. Les européens attendaient une clarification de la position américaine sur la question de l’Ukraine. Vance n’en a pas touché mot. À la place, non sans hypocrisie ni mauvaise foi, il a critiqué la démocratie européenne et alerté sur un prétendu recul des libertés fondamentales sur le Vieux Continent. Il a affirmé que la menace la plus préoccupante pour l’Europe n’était ni la Russie ni la Chine, mais une divergence idéologique avec les États-Unis et critiqué l’encadrement de la liberté d’expression, notamment les règles de modération des contenus sur les réseaux sociaux. Il a également accusé l’UE d’avoir annulé l’élection présidentielle en Roumanie – décision qui a en réalité été prise par les juges nationaux en raison d’ingérences russes. Il a condamné l’interdiction des partis populistes d’extrême-droite à siéger à la conférence de Munich (l’espagnol Vox, le Rassemblement national et l’allemand AfD) et a dénoncé l’ostracisation de l’AfD de la politique allemande. En effet, depuis 1945 et la chute du régime nazi, tous les partis politiques allemands ont mis en place un  “cordon sanitaire” qui vise à empêcher l’AfD de faire partie d’un gouvernement. J. D. Vance appelle justement à faire tomber ce cordon sanitaire.

La clarification de la position états-unienne sur la question ukrainienne est arrivée le 28 février dernier. Le président ukrainien Zelensky s’est entretenu avec Trump et Vance à la Maison Blanche, dans une ambiance plus que tendue. Trump a menacé de “lâcher” Zelensky s’il ne faisait pas d’efforts, l’accusant de jouer avec la Troisième Guerre mondiale et l’humiliant devant tous les journalistes présents. Zelensky a finalement quitté la Maison Blanche plus tôt que prévu.

Le rôle ambigu d’Elon Musk

Sur X, ex-Twitter, Elon Musk participe à la dédiabolisation de l’AfD, dont les positions sont particulièrement radicales : sortie de l’UE, fermeture des frontières, “remigration” des immigrés voire même des allemands d’origine étrangère et proximité de moins en moins cachée avec des idées nazies. Le 9 janvier, l’AfD tenait un meeting avant les élections législatives anticipées, auquel Elon Musk participait par écran interposé. Alice Weidel cheffe de l’AfD et Musk y ont évoqué un Hitler “communiste” et les “effets secondaires considérables des vaccins”. Autant que ces propos, la présence d’Elon Musk à ce meeting interroge. Intervient-il en tant que propriétaire du réseau social X ou en tant que directeur du DOGE et membre de l’administration Trump? Cette dernière option constituerait un cas d’ingérence explicite dans les affaires politiques allemandes, menaçant ainsi directement la démocratie. Mais le DOGE n’étant pas un ministère, Musk n’est pas contraint dans ses prises de position sur des politiques d’autres pays !

Il s’immisce également dans les affaires politiques du Royaume-Uni en soutenant Nigel Farage, patron du parti Reform UK, populiste d’extrême-droite. Il lui avait promis 100 millions d’investissements dans son parti. Si ça, ça ne relève pas de l’ingérence… Finalement, Musk a accordé son soutien à l’activiste islamophobe et conspirationniste Tommy Robinson, plus radical encore et actuellement en détention5 !

Un projet politique réel

Enfin, ce qui pouvait passer pour de l’improvisation ou complètement décousu et spontané lors du premier mandat de Trump s’est transformé en véritable projet politique.

Trump, jusque-là simple populiste provocateur dans son premier mandat, entend cette fois-ci mettre en place un illibéralisme consolidé, théorisé et prêt à l’emploi. Cet illibéralisme ne se contente pas de critiquer les valeurs libérales et progressives, il avance un projet politique réel, fondé sur un socle idéologique solide et cohérent, porté par J. D. Vance à Munich. La journaliste et politologue Marlène Laruelle résume ainsi ce projet6 : la souveraineté des États-Unis est prioritaire et ne doit pas être limitée par les lois ou institutions supranationales ; la société a besoin d’une autorité morale qui peut mener à une forme d’autoritarisme contre les institutions de la démocratie si elles sont estimées dysfonctionnelles ou “capturées par une élite woke”; les lois sont faites pour la majorité, aucunement pour les minorités.

 

Pour reprendre la célèbre phrase des Inconnus, “il est capable du meilleur comme du pire, mais c’est dans le pire qu’il est le meilleur”… Dans quel état retrouverons-nous la démocratie américaine dans quatre ans ? Et en Europe ? Quelles relations peut-on espérer entre les deux ? C’est à cette dernière question que j’essaie de répondre dans le nouvel épisode du podcast Affaires Européennes.

Pierre Lacroute

SOMMAIRE L’ANCRE 02/JUIN 2025

Notes:

1: La notion d’illibéralisme est inventée par l’historien Pierre Rosanvallon dans les années 1990. Elle désigne une doctrine politique qui rejette tous les principes libéraux (économiques, sociaux et sociétaux…) et qui défend la majorité au mépris de l’État de droit et des minorités (ethniques, culturelles, sexuelles…)

2: Executive order 14168 du 20 janvier 2025

3: France24, Insultes et vulgarité de Donald Trump: une “politique du doigt d’honneur” risquée, Romain Brunet, 30 octobre 2024

4: Le Monde, Elon Musk lâche le britannique Nigel Farage au profit de l’activiste d’extrême-droite Tommy Robinson, Cécile Ducourtieux, 7 janvier 2025

5: Le 10 février 2025, Donald Trump signe un décret (encore un) pour entériner le changement de nom du Golfe du Mexique qu’il avait promis pendant sa campagne. Celui-ci devient officiellement le Gulf of America. Ce changement n’est reconnu qu’aux États-Unis. Dans les autres pays, le nouveau nom apparaît entre parenthèses après l’appellation “Golfe du Mexique”.

6: Le Monde, « L’illibéralisme de J. D. Vance ne se contente pas de critiquer les valeurs libérales et progressives, il avance un projet politique réel », Marlène Laruelle, 24 février 2025

 

SOMMAIRE L’ANCRE 02/JUIN 2025