Vous avez sûrement déjà vécu ce moment : devant votre feuille blanche, stylo à la main et texte à côté, vous devez relever les procédés littéraires qui montrent l’intention de l’auteur. Ce qu’il a voulu transmettre ou expliquer. Peut-être vous demandez-vous si par « gel chaud » (oxymore), il veut vraiment exprimer un désert sentimental. Peut-être êtes-vous même tenté de relier ce qu’il dit à ce qu’il a vécu, car oui en effet, il n’a eu aucune relation amoureuse avant la trentaine.
Tout cela, toutes ces heures interminables de français, toutes ces interrogations sont balayées par le texte dont nous allons parler aujourd’hui : La Mort de l’auteur de Roland Barthes.
Mais avant d’entrer dans l’œuvre, faisons le point sur Roland Barthes. Cet homme charmant est un critique littéraire et un théoricien français né en 1915. Il n’a pas choisi la meilleure partie du vingtième siècle, le pauvre et il est mort en 1980. C‘est la découverte des écrits communistes qui l’incite à écrire dans des journaux d’abord, avant de publier en 1953 son premier essai : Le Degré zéro de l’écriture.

Et en 1967, il publie La Mort de l’auteur. On ne peut pas dire qu’il n’avait pas le sens du titre catchy celui-là. Essai d’abord publié en anglais, et qui fait à peu près la taille de l’article sur la cinquième République paru dans le premier numéro de l’Ancre (que je vous recommande, il est tout aussi intéressant que le mien). Mais alors, qu’y a-t-il dans cet essai pour remettre en question nos commentaires de texte en français ?! Et révolter nos pauvres profs de français qui supportent déjà nos fautes ?!
D’après lui, on ne devrait pas prendre en considération l’auteur. Ni sa personnalité, ni son vécu, ni son point de vue sur le monde. Ni ce qui l’a motivé à écrire son œuvre. Et pourquoi pas ? Parce que ce serait limiter la compréhension de ladite œuvre, ou alors biaiser le sens qu’on peut lui attribuer. Dans le même genre, on a Marcel Duchamp qui disait déjà en 1913 que ce qui donne à l’œuvre son sens, ou même sa raison d’être, c’est le spectateur. Et ce ne sont pas les seuls à exprimer cette idée, on peut citer en outre Michel Foucault et Umberto Eco. parmi beaucoup d’autres. Vous l’aurez compris, ce qu’il dit, c’est que c’est à vous de déterminer ce que vous comprenez dans : « gel chaud ». Si ce texte parle surtout de littérature, on peut très facilement l’étendre à la photographie ou à la peinture. Si dans un tableau représentant une brebis en train de manger une forêt de billets, vous voyez une critique du capitalisme, vous pouvez !
Bon, ce n’est pas toujours aussi simple, surtout quand l’artiste est le sujet même de l’œuvre. Et c’est là qu’une question légitime se pose : doit-on séparer l’artiste de son œuvre ? Et dans quels cas ? Prenons les œuvres de Picasso, par exemple : doit-on y voir seulement des femmes qui pleurent, apeurées par le minotaure ? Ou bien plutôt des portraits de femmes victimes, où le minotaure serait le reflet de l’artiste ?
Oui, Roland Barthes met à mort l’auteur, mais il remet surtout en question sa place dans ses créations et la considération que l’on doit avoir pour lui. Quelle part doit-il avoir dans notre réflexion autour de son œuvre ? Jusqu’à quel point peut-on l’ignorer ? Seulement lorsqu’il ne convient pas à nos idéaux ? A notre sens moral ? Quand le criminel s’invite dans l’art ? Ou bien devrait-on mettre cela de côté pour seulement voir ce qu’on a envie de voir ? Ainsi, on pourrait remettre en cause toute une société !
Avec ce texte, on peut aller beaucoup plus loin que nos simples analyses de procédés. Plus loin même peut-être que l’auteur ne l’aurait voulu. Cet essai est sans aucun doute un jalon important dans la remise en question du statut de l’artiste, et c’est ce qui fait tout son intérêt. Mais allons, n’allons pas trop loin dans notre analyse de texte quand celui-ci nous fournit le parfait prétexte pour en faire moins !
Léa Vyplasil
