L’Empire, de Bruno Dumont
L’Empire est un film de science-fiction dans lequel deux civilisations extra-terrestres, le Bien et le Mal, se livrent une guerre secrète sur Terre en prenant possession du corps des êtres humains. Le réalisateur Bruno Dumont est un cinéaste connu pour ses films engagés qui se déroulent dans des territoires très populaires du Nord de la France. Si la plupart de ses films s’inscrivent dans un registre dramatique (Le p’tit quinquin, 2014 ; Ma Loute, 2016 ; Jeanne, 2019), le comique et le burlesque y ont leur place, surtout dans ses œuvres les plus récentes. Ici, il s’attaque au genre de la Science-fiction pour la première fois. Au lieu de nous livrer une grande fresque épique manichéenne, Dumont se concentre plutôt sur la vie des gens, leur quotidien. Il parodie les classiques du genre comme Star Wars, en montrant par exemple le ridicule des combats de sabre laser et en jouant sur l’exagération des mouvements, ou encore sur les tenues (très légères) des personnages féminins. Il prend ainsi le parti de faire passer la guerre inter-galactique au second plan, montrant le ridicule qu’elle peut avoir et la futilité que représente au fond tout ce bazar. Cela passe bien entendu par l’humour, qui dénote avec l’importance et la grandeur des enjeux (l’avenir du monde et la possible fin des temps). Il en profite aussi pour aborder l’ambivalence de la relation entre le Bien et le Mal, qui ne sont pas présentés comme fondamentalement opposés, mais plutôt comme indissociables et même complémentaires. La frontière qui les sépare est ainsi brouillée et la représentation que s’en font les humains remise en cause : rien ne les dissocie par leur actions, le Mal n’agit pas tel qu’on le penserait et il en est de même pour le Bien. Au contraire, leur manière d’opérer va à l’encontre de leurs présupposées valeurs : le Mal protège l’enfant qui vient de naître au sein de leur civilisation (le Prince annonciateur de la fin des temps) et ne commet aucun crime, alors que le Bien a pour objectif d’éliminer le bébé et va jusqu’à tuer un innocent pour exécuter sa mission. Bien et Mal, incarnés ici par Jony (camp du Mal) et Jane (camp du Bien) vont tout au long du film chercher à se séduire et l’on en vient à se demander si leurs différences les éloignent et les empêchent de s’aimer ou si au contraire elles leur permettent de se compléter et de s’épanouir. Ces deux entités enfermées dans des corps humains finissent, malgré leur nature cosmique, par ressentir des sentiments humains et du désir l’un pour l’autre, et ils comptent bien l’explorer même si cela va à l’encontre de leur raison. Alors que du début à la fin, le film est conduit par une mise en scène sans extravagance qui ne joue pas la carte de la surenchère, de manière à nous donner une approche naturaliste, c’est un final en apothéose qui vient conclure l’œuvre, non sans souligner l’aspect dérisoire de ces enjeux inter-galactiques. Avec L’Empire, Bruno Dumont nous démontre que le cinéma français est toujours aussi grandiose, loin des clichés qui tentent de le discréditer.
Clément Bouchard
