Bonjour à tous,
Si vous cherchez à comprendre cet acte qu’est le harcèlement, du point de vue de la victime, du coupable et du point de vue judiciaire, vous êtes au bon endroit et j’espère que cette lecture pourra vous être utile. Tout ceci est expliqué par notre docteure en psychologie Mme Martel, qui a eu la gentillesse et la bonté de trouver le temps de nous accorder cette interview afin de concevoir cet article avec de solides informations. Malgré la situation actuelle rendant difficile une entrevue directe, nous avons pu nous entretenir par téléphone le 11 décembre dernier. Cet article vous est donc proposé sous forme d’interview. Je vous souhaite une bonne lecture.
Pour commencer, pourriez-vous nous présenter votre métier, peut-être votre parcours afin que nous puissions bien situer dans quels domaines vous travaillez ?
Tout d’abord, je suis docteure en psychologie, j’ai un bac+5 en psychologie et j’ai par la suite enchaîné avec une thèse. Mon métier n’est pas à confondre avec un psychiatre, qui lui a fait une faculté de médecine, ou encore avec un psychanalyste, qui pour se former, a suivi une psychanalyse didactique. Je suis chargée d’accompagner des personnes en difficulté, que ce soient des familles, des couples ou des personnes seules et de comprendre leur fonctionnement afin de repérer les problématiques et modifier leur représentation sur une situation ou sur eux-mêmes. Mon but n’est pas forcément de résoudre le problème mais de les aider à changer leur point de vue. Pour vous donner une image concrète de ce qui doit se passer dans leur tête, au premier rendez-vous, nous constatons un verre d’eau rempli à moitié mais le patient se focalise sur la moitié vide. Une fois le travail terminé, face au même verre, la famille ou la personne peut réaliser qu’il est à moitié plein. Elle peut aussi changer de perspective avec une vue de haut par exemple.
Vous êtes venue dans notre établissement il y a quelques années, pouvez-vous nous dire de quelle manière vous procédez afin de former le personnel ou autres ?
J’interviens sur différents terrains, de la crèche à l’université en passant par le milieu professionnel. Les propos qui vont suivre n’ont pas pour objectif de choquer et vont peut-être toucher à un sujet assez polémique et qui dépend des éducations ; mais un enfant doit apprendre à ne pas adopter une position de victime afin de ne pas rester passif si un autre le pousse ou le mord. Il faut qu’il apprenne à “se défendre ». Bien évidemment, il ne doit pas reproduire ce schéma d’agressivité mais juste placer une barrière entre lui et son “agresseur”. Les parents ne doivent pas prôner une éducation basée sur la violence mais apprendre à leurs enfants à ne pas rentrer dans ce cercle vicieux que peut être le harcèlement. Les professeurs que je forme, apprennent aux enfants à se défendre, surtout qu’à cet âge, il n’y a pas beaucoup de différence de gabarit, ce qui permet aux filles de ne pas se laisser intimider par exemple par un adversaire plus imposant qu’elles au cours de leur vie. J’interviens auprès des parents et professionnels dans le même style qu’une conférence, c’est un peu une sensibilisation multi-format. Mon travail me permet de rencontrer des élèves qui doivent apprendre à entrer en relation avec les autres afin de réagir sans honte et poser clairement et calmement le problème.
Voilà qui nous permet de nous imaginer de quoi sont faites vos journées en temps normal. Comme vous le savez, nous allons principalement parler du harcèlement aujourd’hui, fléau de société des plus anciens, touchant les enfants comme les adultes. Peut-être pourriez-vous nous donner une définition claire du harcèlement, car nous avons souvent des bribes ou des éléments mais une certaine clarté nous manque.
Pour être assez concise, le harcèlement est un propos ou un comportement répétitif avec intention de nuire à la victime, mais sans bénéfice direct. C’est là qu’il se différencie du racket par exemple. L’agresseur doit avoir une emprise physique et/ou psychologique sur sa victime qui entraîne une dégradation de sa vie. S’il n’y a pas de dégradation de vie, on ne considère pas cela comme du harcèlement. Le harcèlement commence vraiment dès lors que la personne n’a plus les moyens de réagir, qu’elle se laisse couler, ce qui constitue une atteinte à sa vie privée. Il faut tout de même reconnaître que chacun a son ressenti ; certaines personnes pourront se sentir harcelées par quelqu’un quand d’autres subiront les mêmes attaques ou critiques mais n’y prêteront pas attention de la même manière. On parle de situation de harcèlement car il ne suffit pas de considérer de façon isolée la victime ou le coupable et le ressenti de ces derniers, c’est un tout. Si tous ces facteurs sont présents, il y a alors harcèlement et la possibilité de porter plainte si vous le souhaitez. L’affaire est amenée devant un juge qui aura la charge de trancher. Il se prononce s’il y a dommage pour la victime même si c’est infime, car rappelons qu’il ne faut pas cataloguer mais prendre du recul et regarder l’ensemble de la situation.
Malgré cette très grande diversité de situations, y a-t-il des types de harcèlement prédéfinis, que ce soit moral, physique ou autre ?
On distingue six grands types de harcèlement : le premier consistant en une agression par les mots (insultes, dénigrement) et les attitudes, c’est le harcèlement moral ; le second est le harcèlement physique qui est “tout simplement” une agression physique à laquelle la victime ne répondrait pas et qui s’accentue et se répète ; le troisième plus connu est le harcèlement sexuel, qui peut être véhiculé par des rumeurs, des insultes, des photos ou des vidéos. A ces trois-là, on peut ajouter trois autres types, le harcèlement matériel, l’agresseur va casser un objet personnel, malheureusement la salle de cours est un lieu idéal car la victime ne dira rien ne voulant pas attirer l’attention afin de ne pas se faire remarquer. On retrouve aussi le harcèlement alimentaire, peut-être moins connu mais non pas moins répandu, qui consiste à rendre la nourriture immangeable et à humilier le harcelé afin de le rendre vulnérable. Le dernier est sûrement celui qui connaît la plus grosse augmentation avec l’apparition des réseaux sociaux : le cyber-harcèlement. C’est le plus invasif car il affecte tous les domaines de la vie, de l’école toute la journée, au sport en début de soirée ou à la maison le reste du temps. Il n’a aucune borne temporelle comparé au harcèlement physique où l’enfant (par exemple) peut prendre du recul chez lui et quitter cet environnement nocif journalier.
En revanche, malgré leurs différences, on peut observer des symptômes identiques, à savoir : des résultats en chute libre, un enfermement sur soi-même vis à vis de sa famille ou de ses amis, le contact social diminue, on ne se confie plus autant à des amis et ces derniers se font de plus en plus rares.
C’est assez impressionnant car je ne m’imaginais pas certains types de harcèlement, tels que l’alimentaire ou le matériel. Dans les journaux télévisés ou dans la presse, on lit souvent que les chiffres du harcèlement subissent une constante augmentation, est-ce vrai ? Par exemple au niveau du cyber-harcèlement ?
Il faut prendre beaucoup de recul avec les chiffres. Je ne constate pas d’augmentation significative, le fait étant que l’on en parle plus. En revanche, il faut noter deux choses importantes : la première est le cyber-harcèlement, dont les médias indiquent une forte augmentation, en effet celui-ci n’a pu que croître depuis les années 2000/2010 et l’apparition des réseaux sociaux n’a fait que renforcer ce type de comportement.
C’est vrai qu’il était compliqué de cyber-harceler dans les années 1990 vu que les réseaux sociaux n’existaient pas.
Exactement ! Et de nos jours, même les plus jeunes, n’ayant pas l’âge requis, possèdent les réseaux sociaux et ne sont pas au courant de toutes les mesures à prendre ou indications pouvant les aider à se protéger et à se préserver. Le cyber-harcèlement est donc un nouveau type de harcèlement changeant la donne et, de par son agressivité constante, amenant des déboires et des actions d’ampleur supérieure. La seconde chose à prendre en compte est que les récents mouvements comme les hashtags “MeToo” ou “balancetonporc” ont permis une évocation publique et une dénonciation des faits. La société actuelle prône le fait de réclamer justice en fonction de ce qui nous a été fait alors qu’il y a quelques décennies, les victimes n’osaient pas parler et se plaindre par honte ou peur de représailles. On peut donc supposer qu’il y a toujours eu du harcèlement, mais qu’il n’était pas dénoncé comme aujourd’hui.
Nous parlons maintenant depuis quelques dizaines de minutes, et nous utilisons des termes tels que harceleur, victime/ harcelé mais pourrait-on les définir un peu mieux et apporter des détails peut-être ? Peut-être aussi expliquer s’il y a une différence de processus entre le harcèlement chez les enfants/adolescents (monde scolaire) et les adultes (monde du travail) ?
Si l’on commence par le harceleur, on distingue trois types : le harceleur dominant, le harceleur harcelé et le suiveur. En effet, la personne peut avoir un problème de domination et voudrait faire reconnaître sa place et pour arriver à ses fins, il va rendre les autres plus faibles afin de se surélever et prendre une forme de commandement. Il peut aussi s’agir d’un harceleur harcelé, un enfant maltraité par exemple ou anciennement élève ayant subi une pression d’autrui et qui va penser inconsciemment ou non, qu’il existe deux places dans la hiérarchie sociétale, agneau ou loup, c’est à dire harcelé ou harceleur. Ne voulant pas revivre cette situation de victime, il va petit à petit user de méthode afin de devenir loup. Il y a donc les harceleurs “pure souche » mais aussi les suiveurs, les moutons, qui eux éprouvent un manque d’affirmation d’eux et qui vont le répercuter sur la victime du leader.
La victime quant à elle, est une personne lambda qui va petit à petit tomber sous l’emprise de son agresseur. Au début, elle peut riposter car elle a conscience de ce qui lui arrive mais au fur et à mesure, elle va se renfermer sur elle-même, perdre ses moyens d’action et se retrouver dépassée par la situation. On peut dire qu’un cas de harcèlement se joue dès les premières fois et que s’il n’y a aucune riposte, c’est “open-bar” dans la pensée de l’auteur qui va pouvoir faire ce qu’il veut de sa victime. Je ne vais pas prôner la violence mais il vaut mieux des fois déclencher une forte dispute et se faire remarquer que de rester stoïque face à ce qui nous arrive. Il vaut mieux avoir une heure de colle que des jours ou des mois de harcèlement. Bien sûr, ne frappez pas chaque personne qui vous ennuie mais défendez-vous de la bonne manière afin de ne pas subir n’importe quelle pression. Il faut absolument sortir du statut de victime le plus tôt possible et au mieux ne pas y entrer. C’est là que les amis peuvent jouer un rôle essentiel dans l’aide d’une personne harcelée, ils peuvent faire un signalement par exemple au professeur, au CPE, pourquoi pas même le proviseur. Si l’on ne connaît pas personnellement la victime mais que l’on souhaite l’aider, c’est possible. Il existe une cellule spéciale où chacun peut, anonymement s’il le souhaite, faire une IP (information préoccupante) voir même solliciter une demande urgente si la situation se détériore trop rapidement et gravement. La nuance à prendre en compte est que faire une information préoccupante ne demande aucune preuve, la personne veut seulement qu’une enquête soit menée afin de vérifier ses pressentiments. Réclamer une demande urgente nécessitera en revanche un appui “matériel” avec des preuves afin de faire accélérer la procédure, si la victime est dans un état critique. Une demande d’urgence est comme son nom indique urgente et se place prioritaire quant à une information préoccupante. Je pourrais en revanche conseiller d’être accompagné dans la démarche si l’on est peu sûr de soi.
Voilà pour la première partie de la question. A propos d’un processus potentiellement différent entre le monde des enfants et des adolescents, et celui des adultes : le processus est le même, une spirale progressive infernale ; un test de la part de l’auteur, une deuxième fois plus appuyée et ainsi de suite. La seule chose qui change, c’est le cadre. Chez les enfants, il y a la peur de ne plus avoir d’ami ou de renvoyer une mauvaise image ; chez les adultes, il y a la hiérarchie qui entre en jeu, une emprise de son supérieur avec une peur de perdre son emploi, son revenu et tout ce que cela peut déclencher. Il y a donc une impossibilité de réagir, avec intimidation par le contrat, une dévalorisation permanente et si la victime commence à croire son agresseur, c’est fini, la meilleure chose à faire est de remettre le harceleur à distance et d’en parler. Nous parlions tout à l’heure de différence de perception de la situation, mais chez les adultes, il y a deux types principaux de personnes : il y a des adultes sécures qui pensent qu’il y aura toujours quelqu’un pour eux, à qui ils pourront se confier, ils ont souvent vécu dans un cadre propice à partager un problème ou quelque chose qui leur est arrivé. Très souvent cela s’arrêtera naturellement, ils trouveront un moyen de se défendre sans recourir à la justice. Dans l’autre cas, la situation est plus problématique si la personne insécure a appris à subir ou à ne pas réagir de façon adaptée. Elle ne fera pas appel à un psychologue mais s’engouffrera peut-être dans un milieu plus regrettable tel que la drogue ou l’alcool.
Voilà qui pourra aider les lecteurs à comprendre peut-être plus intimement et clairement la psychologie d’une victime ou d’un harceleur et tout ce qu’ils peuvent entendre à la télé au sujet de harcèlement hiérarchique… On a surtout parlé des actions des harcelés et des harceleurs mais pourrait-on aussi aborder les mesures prises une fois que la situation est prise en charge ?
Bien sûr, mais vous risquez d’être un peu déçu, le harcelé est un peu démuni s’il ne s’adresse pas à des professionnels… Le harcèlement relève d’un traumatisme donc il exige une prise en charge en conséquence, adaptée au traumatisme et aussi afin de changer le mode de fonctionnement chez la victime pour éviter que cela se reproduise (par exemple dans le cadre du travail). Pour ce qui est du harceleur, il a une difficulté dans les relations avec autrui, il se sent mal tout en faisant mal. Il pourra donc être puni pour ses actions mais une fois la punition faite, il peut recommencer parfois. On peut donc préconiser une thérapie familiale, pour étudier sa relation avec les autres depuis son plus jeune âge. En général, le juge peut préconiser différentes mesures, même une obligation de soin (rare à Toulon pour le harcèlement). Il est évident que la sanction sera plus ou moins élevée en fonction de la dégradation de la vie de la victime (dépression, mutilation, tentative de suicide, suicide). Si l’agresseur est mineur, alors les parents payeront et en pâtiront pour lui alors que s’il est majeur, il est responsable à 100 % de sa situation. Le harcèlement est puni par la loi à hauteur des dégâts causés sur la victime.
Merci pour ces informations, peut-être pour clore cet échange et cet article, pourriez-vous nous donner quelques chiffres clefs ? Et si vous souhaitez ajouter quelque chose ?
Pour ce qui est des chiffres*, en voilà quelques-uns. Il y a 12 % de harcelés en primaire, 10 % au collège et au lycée, on est aux alentours de 4 %, grâce à la prise de recul et à la maturité d’un âge se rapprochant de l’âge adulte. Le niveau sociologique, la disposition des locaux, la taille des bâtiments, la culture de l’établissement peuvent jouer sur le déclenchement d’un harcèlement, s’il y a des coins cachés ou s’il y a une cour centrale cernée de bâtiment, par exemple. Et il y a 8,5 % de cas de harcèlement chez les enfants/adolescents.
Il y a deux fois plus de filles harcelées, à tout âge confondu selon l’Unicef France. Il existe naturellement des harceleurs masculins mais aussi féminins, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, les filles ne sont pas plus tendres. Si l’on prend l’exemple des gangs américains, les actes seraient beaucoup plus violents.
Si je devais ajouter quelque chose, ce serait de ne pas blâmer les établissements ou les membres de l’Education Nationale qui ne sont pas forcément formés, il vaut mieux les aider et les soutenir. Qui plus est en ce moment, les établissements sont dépassés. Pour finir, je vais donner un conseil qui peut-être, même si je ne vous le souhaite pas, pourra vous aider : si vous êtes confronté à ce genre de situation, n’ayez pas honte et ne vous taisez pas, criez et faites appel à une aide extérieure, cela mettra la pression à votre agresseur car vous vous ferez remarquer.
FIN
C’est la fin de cette interview, j’espère sincèrement qu’elle aura pu vous aider à vous rendre compte de ce qu’est vraiment le harcèlement si vous aviez des interrogations. Si vous êtes dans une de ces situations, vous connaissez maintenant les différentes manières de vous en sortir et avez les cartes en main. N’hésitez plus. Agissez pour vous sauver maintenant mais aussi dans votre vie personnelle et professionnelle future.
Je vous souhaite un très bon mois de Mars, accompagné d’un très bon troisième trimestre, j’en suis sûr, et surtout prenez soin de vous !
Joube Titouan pour l’Actu made in Dumont
*Retrouvez les chiffres clefs : https://www.francetvinfo.fr/societe/education/harcelement-a-l-ecole/harcelement-scolaire-environ-un-enfant-sur-dix-en-est-victime-12-en-primaire-10-au-college-et-4-au-lycee_2922387.html
Numéros d’aide pour le harcèlement scolaire : 30 20 (victime ou famille) et 116 006 (victime)
Numéro d’aide pour le cyber-harcèlement: 30 18
Illustration : Laurence Martel, docteure en psychologie, spécialisée dans les phénomène de harcèlement (photo reproduite avec son aimable autorisation)
