Le phénomène ARG

ARG, un terme que vous avez peut-être déjà entendu ou peut-être jamais. Pourtant, le phénomène gagne en importance et en visibilité grâce à des internautes de plus en plus talentueux. N’est-ce donc pas le moment de s’y intéresser ?

Un ARG (pour Alternate Reality Game, aussi appelé en français “Jeu en réalité alternée” ou « intégrée » : JRI) peut se décrire simplement comme un jeu se déroulant dans une réalité alternative. Mais qu’est-ce qu’une réalité alternative ? Prenons un exemple : Harry Potter. Il évolue dans un univers basé sur notre réalité, mais altéré par un détail (la magie), qui crée une nouvelle dimension de réalité : une réalité alternative.

Mais attention : Harry Potter n’est pas un ARG. Car un ARG se distingue par une caractéristique unique : il permet aux participants, comme vous et moi, de prendre part à cette réalité alternative, d’interagir avec l’univers proposé.

C’est un jeu donc. Un jeu qui prend souvent la forme d’une enquête ou d’un jeu de piste et qui donne aux participants l’impression que l’histoire se déroule dans la réalité. Squeezie – une personnalité très populaire sur Internet que nous avons déjà présentée dans le Journal2Dumont au mois de juin (à retrouver sur le webmedia) nous fournit un très bon exemple dans une vidéo de 2018 intitulée “Une affreuse découverte”. C’est une histoire qui a circulé sur X (anciennement Twitter) dans laquelle une jeune femme trouve un téléphone par terre et dans ce téléphone, des choses étranges : des photos, des indices menant vers d’autres réseaux sociaux etc. Avec l’aide d’autres utilisateurs de X, elle va déchiffrer les codes, résoudre les énigmes qui entourent ce téléphone, jusqu’au dénouement (que je ne révélerai pas ici). Tout cela est bien sûr faux, scénarisé de bout en bout, mais donne l’illusion à tous les participants d’avoir réellement aidé la jeune femme.

Cet exemple illustre bien l’une des deux formes d’ARG, l’enquête. Mais il en existe une autre : le jeu de piste. Une variante où les “joueurs” n’aident pas “le personnage” directement, mais enquêtent dans le support du “jeu” (site internet ou vidéo etc.). Connaissez-vous Adult Swim ? Cette chaîne de télévision américaine produit des vidéos parodiant la société américaine. Une de leurs vidéos emblématiques est “Real footage of a bear” en 2015. La vidéo débute par les images d’un ours filmé en pleine nature, comme s’il s’agissait d’une vidéo amateur comme il en circule beaucoup sur Internet. Mais très vite, le décor et l’ambiance changent radicalement et on a l’impressionde regarder plutôt un spot publicitaire. Cette publicité met en scène une femme avec des enfants apparemment turbulents et on la voit prendre un médicament pour soulager sa fatigue pense-t-on. A partir de là, on a l’impression de sortir de la publicité pour passer dans la vie réelle et la vidéo devient de plus en plus sombre et angoissante. C’est assez bizarre, complètement barge même. Mais surtout, cela interpelle le spectateur et suscite chez lui l’envie de comprendre ce qui se cache derrière la vidéo. En la visionnant très attentivement, il va trouver des indices, des sites cachés et finalement découvrir le sens de toute l’histoire. La vidéo dénonce en fait l’addiction aux médicaments, un phénomène très présent aux Etats-Unis où les médicaments sont présentés comme des remèdes miracles et sont en libre accès pour certains alors qu’ils produisent des effets secondaires assez forts. Comme la détérioration de la santé mentale de la protagoniste de la vidéo.

Notez bien que ces deux formes d’ARG sont très proches mais bien distinctes. Dans la première, les participants interagissent dans une histoire en train de se dérouler. Dans la seconde, ils déchiffrent un message caché derrière une œuvre.

Vous imaginez bien que si Squeezie en parle, ou si la chaîne Adult Swim en crée un, ou si vous êtes en train de lire mon article, c’est que le phénomène ARG a pris des proportions très importantes. Les premiers ARG ont été créés à des fins commerciales, comme “The Beast” en 2001, conçu pour la promotion du film “A.I. Artificial Intelligence”. Puis ils ont évolué vers l’univers des histoires horrifiques sur internet (aussi appelées en anglais “creepy pasta”) qui mettent en scène des personnages fictifs d’horreur très populaires sur le web (comme le Slender man, un personnage créé en 2009 par un internaute) et qui ressemblent un peu aux légendes urbaines. Puis quand les réseaux sociaux ont fait leur apparition, l’ARG s’est adapté comme on l’a vu avec l’histoire rapportée par Squeezie.

Mais si l’ARG a réussi à dépasser le stade du jeu, c’est grâce à la réflexion et au regard critique porté sur notre monde, comme dans “Real footage of a bear” ou dans “MyHouse.wad”, un ARG de 2023 qui aborde le thème du deuil. Pour en savoir plus sur ce dernier exemple, lisez l’article de Corentin Benoit-Gonin dans Le Monde du 10 décembre 2023 ou consultez la vidéo de l’artiste et youtubeur Feldup à son sujet (voir les liens ci-dessous).

Les ARG ont donc évolué au fil des décennies, jusqu’à devenir de véritables histoires immersives avec un storytelling et une création de plus en plus poussée et se sont complètement ré-inventés, au point qu’il est de plus en plus difficile de les définir. On pourrait presque les considérer comme une nouvelle forme artistique étant donné l’ingéniosité dont font preuve les créateurs pour créer des histoires, des supports, toujours plus complexes et captivants.

L’ARG est un terrain de jeu pour tous les créateurs dans l’âme. De nouveaux ARG sont créés chaque année par d’innombrables internautes à travers le monde et chacun propose une histoire originale qui repousse les frontières du genre. J’espère que cet article aura suscité votre intérêt et l’envie d’y plonger vous-même. Vous pourriez peut-être même vous retrouver avec l’envie d’en faire un ! Ne vous inquiétez pas, les créateurs d’ARG sont loin d’être un club fermé : il suffit simplement d’avoir des idées et une bonne connexion à internet.

D’ailleurs, pourquoi ne pas en créer un à plusieurs, « made in Dumont » ? Si l’idée vous tente, vous n’avez qu’à envoyer un message sur le compte journal de Dumont avec vos idées, vos références, pourquoi pas aussi vos questions si vous en avez. Et retenez le mot d’ordre : il n’y a aucune limite, sauf celles de la légalité. Et du règlement intérieur du lycée 😉

Léa V.

Squeezie, « Une affreuse découverte », 2018, à regarder sur Dailymotion

Corentin Benoit-Gonin, « Doom » et « MyHouse.wad » : Retour sur un mystère fait maison, 10/12/2023, à lire sur le blog Pixel du Monde

Feldup, « Myhouse.wad », le MOD qui a terrifié Internet, à regarder sur Youtube