Le Robot sauvage – L’avis de Clément

A la suite d’un naufrage, un robot intelligent s’échoue sur une île inhabitée (inhabitée par les humains, mais pas par les animaux). Face à cet environnement hostile où la loi du plus fort et du plus rusé règne, Roz (le Robot Sauvage) va nouer des liens avec les animaux qui y résident et élever une petite oie devenue orpheline par sa faute. Cependant, dans le même temps, l’entreprise qui a fabriqué le robot cherche à le récupérer par tous les moyens.

Nous avons alors une fresque sur l’union de tous les peuples, transposée à l’échelle d’animaux sauvages, mais aussi sur l’acceptation des différences et la supériorité des liens du cœur sur ceux du sang. On pourrait dire que c’est une bien belle idée, sauf que le film n’apporte aucune subtilité ni originalité dans le traitement de ces thèmes. Le dépassement de soi par un travail acharné pour compenser un handicap ou un retard (image de la méritocratie), ainsi que l’alliance de tous les animaux sauvages qui, dépassant leur instinct, arrêtent de s’entretuer et se serrent les coudes contre un ennemi commun (comme dans l’affreux Mufasa : Le Roi Lion sorti en fin d’année dernière), sont surtout des rêves. Ces derniers ne sont certes pas impossibles à réaliser, mais sont loin d’être des réalités universelles. Ce sont des utopies que l’on sert aux enfants afin de satisfaire, certes un début d’éducation morale, mais surtout un besoin immédiat de divertissement. Ce genre de produit politiquement correct satisfait les parents qui ont peur de heurter la sensibilité de leurs enfants et qui les empêchent de se confronter à des œuvres plus subtiles, avec des morales plus ambiguës. Rien n’est vraiment remis en cause, ni le mythe méritocratique dans notre société, ni cette fable de l’alliance qui fait la force (pourquoi des ours feraient-ils alliance avec leurs proies ? comme si toutes leurs pulsions de prédateurs étaient effacées). Il y a aussi l’idée pré-établie que les animaux sont des êtres doués de conscience et capables de surmonter leur nature. Le film prend même le parti si commun de leur prêter la parole et la réflexion pour capter d’autant mieux l’attention des enfants. Récemment, le film Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau a pris le parti inverse : comme quoi on peut proposer des films d’animation qualitatif avec des animaux sans forcément leur prêter de qualités humaines. Je rappelle que le fait que l’œuvre soit destinée à des enfants n’est pas une excuse pour la médiocrité ; à l’inverse même, on devrait mettre les bouchées doubles pour leur proposer un contenu de qualité.

Le film, qui est pourtant assez bien rythmé durant une bonne partie, se voit rallongé par une intrigue alors qu’on pensait le film bientôt fini. Sa fin nous donne un sentiment d’indifférence totale face à la dramatisation disproportionnée des enjeux et face au manque de vraisemblance : pour récupérer Roz, l’entreprise qui l’a créé est prête à sacrifier des dizaines de leurs prototypes pour n’en tirer aucun avantage visible ou explicité, sans que l’on comprenne pourquoi, on a l’impression d’un gâchis énorme de matériel. Face à la puissance des armes humaines, le robot finit par se rendre pour protéger l’île, mais nous n’observons ensuite aucun changement significatif dans la civilisation humaine. Cette partie apporte certes une réflexion intéressante sur la place des sentiments et du libre arbitre dans l’intelligence artificielle et la robotique, thèmes sous-jacents du long-métrage, mais elle est balayée d’un revers de main, anéantie par excès de sentimentalisme, par manque de cohérence et par une bien-pensance insupportable.

L’emballage visuel, quant à lui, est impressionnant grâce à une animation foisonnante, qui donne vie à cet univers mais qui n’est malheureusement pas assez appuyée et qui manque rapidement d’identité sitôt qu’on quitte le décor de l’île : on perd le côté aquarelle des dessins, les images manquent de profondeur et la mise en scène s’appauvrit. Le film reste beau malgré tout, il ne faut pas le nier. L’hymne à la nature qui nous était vendu n’est malheureusement pas au rendez-vous. La scène de course-poursuite au début parvient à créer un rythme effréné et crée de la tension dans un décor inquiétant, rendu encore plus dangereux par la nuit. Mais plus le récit avance et moins il y a d’ingéniosité et de prise de risque. Finalement le film s’émousse, les enjeux sont désamorçés, les personnages sont lissés par l’écriture, et il ne reste qu’un spectacle visuel qui cherche à impressionner le spectateur en négligeant l’aspect artistique et le fond. Et le tout est rendu encore plus indigeste par cet exaspérant et incessant tambourinage musical qui en devient inaudible.

Les studios DreamWorks nous démontrent qu’ils possèdent encore de grandes qualités en termes d’animation mais peinent à la mettre en scène dans la durée. Le Robot Sauvage, à l’image de leurs autres films de cette année (Kung-fu Panda 4 et La Nuit d’Orion), n’est qu’un pas de plus vers l’uniformisation de leurs films, des films qui ne proposent aucune expérience esthétique et artistique nouvelle.

Clément Bouchard

SOMMAIRE L’ANCRE 02/JUIN 2025