Pour ma part, je suis très déçu par ce film. Il semblait s’orienter avant tout vers un questionnement de l’identité, du “moi”, du corps et de ce qui nous distingue de l’autre. Mais pour finir, il se satisfait d’un cahier des charges de critiques sociales très peu subtiles et déjà très exploitées pour la plupart d’entre elles, sans rien apporter d’innovant dans ce qui est raconté ou dans la manière dont c’est raconté ou mis en scène (hormis cet homme-photocopie). Ça devient malheureusement exaspérant au fur et à mesure que le film avance.
La critique sociale serait bienvenue si elle ne sabotait pas le film de cette manière en éclipsant tous les autres sujets qui auraient mérité d’être exploré, ou en oubliant les propositions esthétiques. J’avais un affreux goût d’inachevé quand je suis sorti de la séance et l’impression d’avoir perdu mon temps car le film n’a pas réussi à exploiter les sujets les plus intéressants qu’il pose sur la table (le clonage, l’identité, la colonisation spatiale…). Et la satire des méchants capitalistes devient vite fatigante. Car il y a bien une critique du capitalisme, une analyse marxiste se dégage, mais tout cela est vraiment superficiel. Cette critique passe uniquement par le personnage de Mickey 17, mais les questions de lutte des classes, de vol de la force de travail etc. ne sont pas abordées. Comment croire qu’il y a une opposition entre les bourgeois et les prolétaires, que ces derniers se font exploiter et que c’est à eux de donner le change, quand les méchants riches et pas beaux se font arrêter par les gentils policiers du gouvernement sans qu’aucun soulèvement prolétaire ou quoi que ce soit du genre n’ait lieu ?
On ne retrouve pas cette réelle opposition de classe comme dans Parasite (2019). La critique sociale dans ce film n’est que du réchauffé servi dans un contexte de science-fiction. Le film se vautre aussi sur la question de l’identité. On se contentera donc d’une caricature essoufflée du totalitarisme (qui passe à côté de la part de la religion dans cette idéologie), d’une critique de la colonisation totalement niaise qui transpose bien sûr notre condition d’êtres humains sur les créatures extra-terrestres (avec des yeux, une conscience, et dotés de la parole…). On comprend très bien que tous ces traits humains ou mignons sont là pour qu’on s’attache à elles, car si elles ressemblaient par exemple à des xénomorphes, le spectateur n’aurait sûrement pas de compassion pour elles. Et le message pour la cause animale et contre la colonisation ne passerait pas aussi bien. Okja (2017) du même réalisateur était bien plus percutant sur la question de la condition animale.
Ici, j’étais juste lassé et je n’y croyais pas tant c’était mal amené et le conflit contre ces créatures résolu de manière si convenu et simpliste. Pour en revenir aux personnages, on s’aperçoit que celui de Mickey 18 est dépourvu de toute profondeur et que sa relation avec Mickey 17 est laissée en suspens au profit d’autres intrigues. Ils deviennent deux protagonistes lambda d’un film d’action que rien ne semble relier, alors que ce sont pourtant deux manifestations différentes d’une même intériorité. Alors que leurs relations méritaient d’être approfondies, aucun temps n’y est consacré car il faut vite passer à la scène suivante pour réussir à dire d’autres choses sans intérêt ! Par exemple, on voit qu’ils ont beau avoir les mêmes souvenirs, ce ne sont deux personnes différentes, mais leur copine reste amoureuse des 18 Mickey, tous aussi différents qu’ils sont. Mais pourquoi est-elle encore amoureuse, pourquoi reste-t-elle auprès de lui ? Des questions vraiment intéressantes, mais qui ne seront jamais abordées. L’autre principal élément qui relie ces copies, c’est leur mémoire commune. Mais là non plus, on ne s’attarde jamais vraiment dessus. Ils auraient très bien pu être deux personnages totalement différents et cela n’aurait rien changé. La question de leur individualité est assez vite mise de côté au profit du reste de l’intrigue et c’est dommage.
Au-delà de cela, l’humour arrive toutefois à faire mouche, mais ça ne sauve pas le film. L’esthétique n’est pas spécialement remarquable, ça fait même plutôt numérique à certains moments et on ne ressent jamais de dépaysement bien qu’on soit sur une autre planète. On ne retrouve vraiment le réalisateur Bong Joon-ho qu’au début du film, lorsqu’il prend un peu de temps pour nous présenter son protagoniste et le contexte de l’histoire. Mais au final, on ne retrouve ni cette précision, ni cette beauté dans la mise en scène qui mettaient en valeur les personnages de Parasite et Memories of Murder (2003), qui savait capter leur singularité, leur humanité dans toute leur complexité. Et on ne peut que le déplorer.
Clément Bouchard
