Politique

PORTRAIT: S FOR SKP, femme iranienne

S for KP, exilée d’Iran, voix de l’Iran.

 

Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis auteure, « compositeure », interprète.  Je suis « S for SKP », ce qui veut dire S comme dans SKP « escapee » qui veut dire « évadée » en anglais. Ce n’est pas gênant que les francophones prononcent « escapée », ça sonne un peu comme « rescapée». 

Je suis réfugiée politique : dans mon pays qui est l’Iran, il y a  44 ans, il y a eu une révolution parce qu’il y avait au pouvoir un roi qui était contesté pour diverses raisons. Avec le soutien de l’Occident, le pays a été mis aux mains d’une dictature religieuse qui ne s’était pas présentée comme telle au départ, mais qui était vraiment ce qui pouvait arriver de pire au pays.

Je suis exilée d’Iran. L’exil, ce n’est pas anodin. Ça te marque au fer rouge et ça conditionne le reste de ta vie.

 

Comment décrivez-vous l’Iran actuel ?

L’Iran est actuellement un régime islamiste, terroriste, totalitaire et dictatorial. Je pense que j’ai bien résumé. C’est un pays dirigé par un régime corrompu, où les femmes sont discriminées. La femme est, pour le régime, considérée comme inférieure à l’homme.  

Il y a ce qu’on appelle un « apartheid de genre » en Iran.

C’est comme l’apartheid, vous voyez ce que c’est ?  C’était une discrimination envers les Noirs, une séparation raciale entre les Noirs et les blancs. Et là, ce qui se passe en Iran, c’est un apartheid de genre, c’est à dire qu’il y a une discrimination envers les femmes. Et ça, c’est tout aussi inadmissible.

Pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe actuellement en Iran ?

Ce régime massacre, viole, torture  dès qu’il y a des désaccords avec lui.

En septembre, une femme est décédée, tuée car elle est sortie dans la rue en portant « mal » son voile, ou du moins pas comme le souhaitent les dirigeants. Cette mort est devenue le déclenchement de la Révolution actuelle en Iran. 

Depuis,  tout un peuple demande qu’on lui laisse la liberté du choix et le peuple ne veut plus de ce régime. 

Dessin d’Emma

Les hommes en Iran se mobilisent aussi, que cela signifie-t-il pour vous ?

En ce moment, on voit beaucoup d’images d’Iraniens hommes qui portent le voile. Ca peut aller du pharmacien à l’étudiant. Ce sont des gens hyper courageux qui se voilent en solidarité avec les  femmes iraniennes. Le peuple est très soudé dans la révolution qui est en cours depuis septembre, dans ce combat.

Ca permet de voir qu’en Iran, ce sont les religieux qui considèrent la femme comme inférieure et non tous les hommes comme ils essaient de  le faire croire au monde.  Les Iraniens sont respectueux des Iraniennes, ils sont fiers d’elles  et aiment leur fort caractère. Cela prouve qu’il n’y a pas de débat là-dessus. Ils sont totalement solidaires comme 90% de la population.

Curieusement, les gens sont presque amusés de voir des hommes voilés, comme si c’était un déguisement, que c’était rigolo mais quand ce sont les femmes qui sont voilées, personne ne s’émeut. Ça ne paraît pas « anormal ». Or, les femmes iraniennes essayent de dire que ce n’est pas leur volonté et qu’il faut respecter la volonté de chacun. Si tu veux porter le voile, tu es libre de le faire. Les hommes sont aussi solidaires car le débat n’est pas que sur le voile, c’est à tous les niveaux de la société qu’il y a cette discrimination de genres.

 

Que dénonce cette révolution ?

Ce n’est pas que ça, ce qui se passe en Iran, ce n’est pas qu’un problème d’habillement de la femme mais ça a été le déclencheur quand ils ont arrêté une femme qui portait le voile, mais qui ne le portait pas comme eux l’entendaient. Il y avait quelques cheveux qui dépassaient, ça ne leur a pas plu, elle a été arrêtée, malmenée, elle en est morte. Ça a mis feu aux poudres mais vous imaginez bien que

ça n’aurait pas mis le feu aux poudres si c’était un incident isolé et que ce n’était pas l’arbre qui cache la forêt.

Ça a mis le feu aux poudres parce que c’est un peuple qui, depuis 44 ans, a essayé de se soulever à maintes reprises. Ne serait-ce que dès la révolution de 79, quand le peuple a vu que c’était une révolution religieuse, les femmes se sont tout de suite révoltées, elles sont sorties dans les rues, elles se sont directement fait massacrer, torturer. À chaque émeute et il y en a eu plusieurs.

À intervalles réguliers, le peuple a essayé de se soulever, a essayé de lutter, mais c’est un régime qui te massacre, que tu aies 7 ou 77 ans, il n’y a pas de problème. Ils massacrent, ils torturent, ils violent femmes, hommes, tout le monde en prison dès qu’on n’est pas d’accord avec eux.

Là, il y a 18 000 personnes qui sont emprisonnées depuis septembre dans des conditions que vous imaginez. Et l’Occident regarde.

Tous les vendredis en allant à la Mosquée, les musulmans sont aussi dans les rues. Toutes  religions confondues, les gens sont dans les rues. Ce n’est pas pour ou contre l’Islam. Ce n’est pas le débat !

 

 

Dans vos chansons, dans votre voix en ce moment, nous sentons de la colère. Pouvez-vous nous l’expliquer ?

Depuis plusieurs semaines, ils gazent les jeunes filles pour que les parents ne les mettent plus à l’école. Pour que les écoles ferment. On laisse faire. On a l’impression qu’on a touché le fond, mais visiblement, il y a un autre fond en dessous. C’est sans fin. Dans l’histoire, on a déjà gazé d’autres populations  et aujourd’hui, on ne s’émeut pas qu’on soit en train de gazer des jeunes filles en Iran. On ne s’émeut pas que quatre jours après le début du massacre en Iran, le  président français serre la main du président iranien comme si ce n’était pas grave, parce que ces vies là coûtent moins cher ou elles représentent moins, alors qu’elles ne représentent pas moins. Elles sont inestimables comme toutes les autres vies. Il se trouve que nous, l’Occident fait comme si c’était suffisamment loin pour qu’on ne voie pas.

Le problème aujourd’hui, c’est qu’on ne peut plus dire qu’on ne voit pas.

Avec les réseaux sociaux, avec une diaspora iranienne qui est hyper forte, parce que ça fait trop longtemps qu’elle est déracinée et qu’elle se bat, qu’elle continue à célébrer les fêtes traditionnelles, qu’elle continue à affirmer son identité… Les Iraniens, en dehors du pays, relaient ce qui se passe dans le pays parce que c’est ce que demande le peuple.

Le peuple n’arrête pas de répéter : « Nous, tout ce qu’on veut, c’est que vous soyez notre voix et surtout il ne faut pas que ça s’éteigne parce que c’est tout ce qui nous permet de tenir, c’est que vous relayiez ce qui se passe ».

C’est ce qui est fait par les Iraniens à travers le monde. Grâce à vous aujourd’hui aussi. Malgré ça, on continue à écouter les représentants iraniens, là, ce week-end encore, qui étaient en train de s’émouvoir parce qu’ils trouvent que la France ne devrait pas user de violence envers son propre peuple quand il y a des manifestations. On les laisse tenir des propos politiquement corrects alors qu’eux sont un milliard de fois pires que ce qui se passe en France.

 A l’ONU ou ailleurs on laisse la possibilité à ce régime de s’exprimer, or c’est évident qu’il y a crime contre l’humanité.

 

Que mettez-vous derrière le slogan « Femme, vie, liberté » ?

Beaucoup de choses, je vous invite à écouter ma chanson, mon poème. Je l’ai écrit en écho au poème Liberté d’Eluard, écrit pendant une autre guerre.

Cliquez ici pour écouter Femme Vie Liberté de S for SKP

FEMME, car ce sont elles qui ont déclenché ce mouvement. Elles ont réussi à entraîner tout le peuple avec elles. Chaque jour elles sont symboles de courage et de force incroyable. Un courage comme je n’ai jamais vu. Encore la semaine dernière, une femme est sortie de prison après 4 ans et 7 mois, la première chose qu’elle a dit c’est « A mort ce régime », devant les caméras. Le lendemain elle était en prison. Même chose pour ces cinq iraniennes qui ont dansé en sachant qu’elles seraient arrêtées.

VIE, parce que ça fait 44 ans que le peuple iranien survit. C’est un peuple qui a le droit de vivre, de respirer librement!

LIBERTE, parce que c’est ce à quoi le peuple aspire.

Les Iraniens en ont assez de vivre morts. Pourquoi les jeunes ne lâchent rien ? Ils le disent, par ce qu’ils n’ont rien à perdre ! Ils sont prêts à se sacrifier pour que les générations futures vivent et respirent.

 

Comment agir pour soutenir la révolte actuelle?

Tout le monde peut agir, pas seulement les iraniens. On agit avec plus ou moins d’agressivité à son échelle. Nous pouvons agir en propageant, en dénonçant ce qu’il se passe. 

Il faut être la voix du peuple iranien, comme il le demande.  

La moindre des choses qu’on puisse faire c’est relayer, relayer au maximum pour que les gouvernements ne puissent pas dire qu’ils ne savent pas.

 

Quelle question auriez-vous aimé qu’on vous pose ?

Est-ce que je pense que nos gouvernements font assez ? Evidemment non.

Il faudrait qu’on se mobilise beaucoup plus. Pas juste pour l’Iran mais pour tous ces autres pays dont on ne sait pas tout.  La chance qu’a l’Iran, si on peut parler de chance, c’est que sa diaspora est forte. Nous sommes des millions à avoir dû fuir et à parler. Il y a des images et des témoignages chaque jour, mais on laisse faire. 

Les gouvernements ne font pas assez c’est une évidence, il faudrait une beaucoup plus grosse mobilisation. Pour l’Iran et tous ces pays qui vivent une dictature ou des massacres comme en Iran. Pour moi, on ne négocie pas avec ces gens là. 

Toutes religions confondues, les gens sont dans les rues,

ce n’est pas une histoire d’être pour ou contre l’Islam. Le débat est d’être pour ou contre imposer une religion  et une certaine lecture de cette religion à tout un peuple qui demande simplement qu’on lui rende sa liberté.

 

Quel est votre Iran rêvé ?

Mon Iran rêvé va mettre plusieurs générations à exister. Il faut se relever de quarante ans d’oppression, de quarante ans à essayer de s’en sortir. Un  Iran libre, quel qu’en soit le prix.

 

E. et D.