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SYNTHÈSE : Sécheresse dans les Alpes Maritimes, bientôt la norme ?

Depuis combien de temps n’avez vous pas vu de vraies pluies, ici, dans l’arrière pays niçois ?
Il est bien évidemment compliqué de répondre à cette question tant ces dernières pluies semblent lointaines, et elles le sont, les dernières précipitations importantes datent déjà de plusieurs mois.
Depuis le début de l’année 2023 la sécheresse se fait particulièrement ressentir dans l’arrière pays niçois. Elle est directement visible par le biais du Paillon, torrent traversant les vallées du Paillon et se jetant à Nice, qui ne coule presque plus.
D’ailleurs, depuis le mardi 7 mars 2023, le département des Alpes-Maritimes a été placé en alerte sécheresse par le préfet.

« Les débits des cours d’eau et des nappes sont anormalement bas pour la saison, faisant apparaître des assecs avec une précocité d’environ 3 mois par rapport à la normale. Le manteau neigeux est déficitaire d’environ 60 % par rapport à la moyenne sur le département » peut-on lire sur le site de la préfecture.

La raison de cette tension importante sur l’eau est à rechercher du côté de l’augmentation de la durée et de la fréquence des sécheresses, d’après Météo France, « depuis août 2021 presque tous les mois sont déficitaires en pluie« , surtout dans le sud de la France.

Nous avons rencontré Benjamin Berteigne, un responsable de la production d’eau potable dans le moyen et haut pays niçois à la Régie Eau d’Azur, il a plus particulièrement en charge les vallées de la Tinée, de la Vésubie, et le moyen pays rive gauche. Son travail et celui l’équipe qu’il dirige est de s’assurer que l’eau de ces secteurs est potable. D’emblée il déclare que la situation actuelle est « très inquiétante » d’autant plus qu’il est très difficile de prévoir l’évolution de la situation à court et moyen termes « nous n’avons aucune visu sur la météorologie dans les mois à venir et les projections de Météo France laissent à penser que ce sera sec voire très sec. »

Le problème principal, dit-il, est que « nous accumulons deux sécheresses d’affilée« , l’année 2022 a été plus sèche que la normale avec un déficit de 60 à 80% de pluies par rapport à une année normale et, cette année, il y a déjà plus de 60% de pluie en moins par rapport à une année normale. Les nappes phréatiques n’ont donc pas été rechargées.

Les nappes phréatique sont de grandes réserves d’eau souterraines d’où l’on tire l’eau potable. C’est normalement pendant l’automne et l’hiver qu’elles se rechargent, mais depuis l’année dernière presque aucune grande pluie n’a eu lieu, ce qui selon Benjamin Berteigne « ne présage rien de bon« . Il semble peu probable qu’il y ait assez de précipitations au printemps pour que les réserves d’eau reviennent à un niveau normal. Il reste encore un peu de neige sur les montagnes qui rempliront un peu les nappes phréatiques lors de la fonte, mais « c’est peu probable, la période de recharge est déjà passée » précise-t-il.

L’ingénieur hydraulique poursuit avec un exemple très parlant : depuis l’année 2000, le niveau le plus bas jamais enregistré pour la nappe phréatique du Var était de 8 mètres, or cet hiver, la nappe n’a même pas atteint ce niveau déjà très bas, le rechargement de la nappe aurait dû avoir lieu, et « son niveau commence d’ailleurs déjà à baisser » ajoute Benjamin Berteigne.

Cela peut se voir au Lac du Broc, il est alimenté par cette nappe, depuis sa construction il avait toujours était plein. Mais depuis ces dernières années, son niveau ne fait que baisser sans jamais retrouver un niveau normal. Même constat dans le haut pays niçois nous dit l’ingénieur, depuis l’été dernier, plusieurs sources ont des débits qui sont beaucoup plus bas que la normale.

Mais alors, quelles sont les causes de cette situation ? Faisons-nous face à une situation exceptionnelle ?

Bien qu’il précise qu’il ne s’agit pas là de son domaine d’expertise, Benjamin Berteigne met en cause le réchauffement et le dérèglement climatique. Il pense que ces années que l’on juge aujourd’hui comme exceptionnelles « deviendront la norme d’ici 10 à 20 ans« .

Les conséquences, elles, se font déjà sentir à l’échelle de la Régie Eau d’Azur, la sécheresse de l’an dernier leur a coûté plusieurs millions d’euros pour mettre en place des secours d’urgence car les sources du haut pays tarissaient. « Il a fallu interconnecter des réseaux pour continuer à alimenter les gens« , explique-t-il. Alors le manque n’a pas été visible pour la population, « mais à notre niveau on le voit bien et ça coûte très cher, dans les années à venir ce sera un enjeu financier majeur qui aura des conséquences sur le prix de l’eau par exemple« .

Fleuve asséché du Paillon à Nice, au niveau du quartier de l’Ariane © Maxppp

Interrogé sur les risques de coupures d’eau pour l’été à venir, Benjamin Berteigne espère qu’elles seront évitées, « il y a toujours deux alimentations en eau, l’une pouvant secourir l’autre si nécessaire, mais par endroits, on a déjà l’une des deux alimentations qui est asséchée », il ne faudrait donc pas que l’autre alimentation rencontre un problème, « on a eu plusieurs frayeurs l’année dernière« , dit-il, « en cas de panne d’électricité sur une alimentation, normalement on a un secours, là, nous le l’avons plus« .

Pour le responsable de la production d’eau potable il devrait y avoir peu d’impacts sur les habitants et leur façon de vivre dans les années à venir, car dans les Alpes Maritimes il y a assez peu de multi-usages de l’eau, il y a peu d’agriculture et d’industries, pas de centrales nucléaires, il y a donc peu de conflits d’usage, la production d’eau potable est essentiellement pour la consommation, mais ajoute-t-il « certains usages seront à revoir, comme arroser des ronds-points ou laver des routes, cela ne pourra plus se faire, car on se rendra compte que l’eau est précieuse« , conclut-il.

Pour autant, certains habitants de l’arrière pays niçois vivant jusque là grâce à des sources sur leur terrain, subissent les conséquences de cette sécheresse.
À Coaraze, petit village de la Vallée des Paillons, certaines familles ne sont pas reliées au réseau d’eau mais utilisent des sources d’eau potable. C’est le cas de Patrice Taboni, qui stocke l’eau qui coule de sa source dans des cuves. Depuis les récentes sécheresses, cette source coule de moins en moins et n’a plus un débit suffisant pour combler les besoins en eau de son foyer. Ses cuves ne se remplissent pas du tout en été et il se retrouve obligé d’économiser ses réserves en limitant les lessives et les lave-vaisselle au maximum et en achetant des packs d’eau. Il a peur que la situation empire et qu’à l’avenir, même en hiver, sa source ne coule pas assez. D’autres, faute de réserves suffisantes, se sont retrouvés obligés de quitter leur habitation l’été dernier et craignent que la situation empire d’année en année.

Alors, si les conséquences de la sécheresse ne sont pas directement visibles par la majorité de la population et ont pour le moment peu de conséquences sur son mode de vie, cela reste un problème très préoccupant qui doit amener tout le monde à avoir une utilisation raisonnée de l’eau.