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INTERVIEW : Monsieur Albert Blancardi, mémoire d’Acropolis.

Monsieur Albert Brancardi,  mémoire d’Acropolis

Depuis quelques temps, la destruction de l’Acropolis a commencé à Nice. Ce grand bâtiment culturel contenant trois salles de spectacle et de congrès est pour beaucoup de Niçois une grande perte. Mais quelle est la réelle histoire d’Acropolis ? Quel symbole sommes-nous en train de détruire ? 

Nous sommes allées à la source ultime et avons rencontré Albert … chef de chantier lors de la construction d’Acropolis. Enfin plus exactement il est venu à nous suite à notre invitation.

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Albert Brancardi. J’étais chef de chantier lors de la construction d’Acropolis.

Pouvez-vous nous raconter comment s’est passée la construction ?

C’était un chantier titanesque.

Le chantier a duré quatre ans. Nous étions 80 dans l’équipe fixe.

Jacques Médecin voulait quelque chose de moderne, de nouveau, d’unique. Tout a été pensé dans ce sens. Les architectes Bernaskoui, Buzzi et Baptiste ont puisé leurs idées dans d’autres pays pour rendre l’endroit incroyable.

C’était un ches fondations sont construites par-dessus le paillon avec des énormes poutres de 70 mètres de long et 2,50 mètres de large. Énorme je vous dis !

Jacques Médecin, le maire de Nice, venait voir le chantier tous les vendredis, quand il le pouvait il était très impliqué dans ce chantier ! Je me rappelle quand nous avons posé les drapeaux niçois, régionaux et français tout en haut. Nous étions tellement fiers ! Et encore on n’était qu’à 2 ans de chantier !

Tout était pensé pour que ce soit moderne.

Des nouveaux mécanismes venus d’Amérique/Canada ont été installés et utilisés ! C’était Jacques Médecin, qui vendait Nice un peu partout, et qui s’intéressait à l’architecture américaine qui avait amené tout cela. Des cloisons coulissantes aux plafonds qu’on pouvait arranger comme on le souhaitait…, imaginez, sur des rails et ensuite vous pouviez agencer les pièces comme bon vous semblait ! Si vous vouliez faire deux congrès dans une seul salle eh bien vous glissiez ces cloisons et voilà ! C’était incroyable ! Et la cuisine, la cuisine tout en inox, qui pouvait fournir plus de 5000 plats congelés. Quand les serveuses mettaient les plats sur des grands rails et qu’ils aillaient les apporter, les assiettes arrivaient d’un autre côté et recevaient la nourriture…

Les immenses escalators et les grands escaliers dans le hall étaient un symbole de modernité. Je me rappelle quand on a vu ces grands escaliers arriver on était tous bouche bée !

Des photographes venaient chaque jour pour photographier l’évolution du chantier ce qui fait que maintenant j’ai plein de belles photos.

Mais vous savez il y a quelque chose que peu de personnes savent ! En dessous de tous ces escalators, il y a des portes blindées de 20 centimètres de large qui mènent à une salle au sous-sol. Cette salle est prévue pour le cas d’un attentat sur un homme politique. Et puis il y avait tous les gardes qui s’entraînaient tout le temps pour verrouiller toutes les issues et accompagner les personnes visées par l’attentat à cette salle au sous-sol ! On est jamais trop prudent ! Des réunions étaient souvent tenues dans la salle de Congrès. Et puis pour l’oxygène, la salle était alimentée en air par une pompe au-dehors.

Mais reparlons de Jacques Médecin ! J’ai eu des conversations hilarantes avec lui. Une fois il m’a dit « Eh, … , on a le même métier tous les deux. » Et moi je dis « Bah non pourquoi ? » Et il me dit «  Moi, quand je rentre chez moi, je prends le bâton, et puis après tout est calme. Toi c’est la même chose. » moi je lui dis « Ah non mais nous on a pas recours à ça !… »

Lorsqu’il sortait de sa voiture, trente personnes devant, plus personne ne parlait. Faut dire que lui comme moi on avait des gens à diriger !

J’ai d’ailleurs une autre petite anecdote. Un jour il est venu me voir et il m’a dit : « Eh ! Mais il n’y a pas de WC ? » Et moi, je ne savais pas, je n’avais pas vérifié ça. « Bah je ne sais pas » Alors on est partis comme des flèches et il est allé voir les architectes. Il leur a dit « Je vous ai dit ce qu’il fallait faire ! Je vous avez dit ce que je voulais ! » Ils essayaient de se justifier, mais il ne les écoutait pas. Il s’est tourné vers moi et m’a dit « au revoir… » et puis, sans les regarder il partait.

Et puis, un autre jour, on est allé sur des parcelles sur le toit en face des HLM, et Jacques m’a dit : « On peut pas marcher là ! » et je lui dis « Mais pourquoi, elle est bien large, la parcelle ! » et puis il m’a dit « Mais j’ai le vertige, moi ! » Il avait le vertige !(rires) Alors on a finalement commencé à marcher, et lui, il marchait tout au milieu. C’était très drôle ! Tous les habitants qui le voyaient passer criaient « Jaco ! Jaco ! » Ah il était aimé, Jacques !

Dans l’Acropolis il y avait 3 salles, mais la plus grande, la plus célèbre était la salle Apollon ! Elle est extraordinaire au niveau de l’acoustique. Elle a été conçue par un Allemand venu de Bayreuth qui avait aussi imaginé l’Opéra de Bayreuth. La scène est tellement grande qu’on pourrait y jouer un match de tennis. Tout le plafond est ondulé pour le meilleur son.

Un jour on a fait un test. On se mettait sur la scène et on tapait des mains ! Une fois ! Je ne vous dis pas la résonance !

Pardessus la scène, il y avait, en cas de risque d’incendie, un grand réservoir d’eau de peut-être 200m3. S’il y avait un incendie, le réservoir s’ouvrait et lâchait le déluge. En trente seconde, plus de feu. (rires)

Sous les sièges, qui sont en escaliers dans la salle, il y a des grands orifices dans le sol qui assurent la climatisation et le chauffage de la salle Apollon. Le frais et le chaud venaient du sol, sans bruit pour ne pas déranger les spectateurs.

Tout était aussi prévu en cas d’incident : dans le fond il y avait un grand moteur diesel, dans une salle environ deux fois plus grande que la salle dans laquelle nous nous trouvons ! Je vous explique : s’il y avait un panne d’électricité, aussitôt le moteur s’activait et pouvait couvrir toute l’électricité d’Acropolis !

Une fois, je travaillais, on était dans un bureau de 60 mètres de long. C’était à un moment quand je fumais encore. En plus, j’avais une bronchite. Je toussais tout le temps. Alors quand j’arrivais, une de mes collègues disait « Ah, c’est Albert qui arrive ». Alors, quand on est allé manger, à la cantine, j’ai dit à mes collègues « Alors les enfants, écoutez moi, si, en partant de demain vous me voyaient une fois avec une cigarette au bec, je vous autorise à m’insulter autant que vous voulez ! » Et depuis, je ne fume plus.

Que pensez vous de la destruction d’Acropolis ?

Ce que j’en pense… Vous voulez même pas le savoir. Je ne comprends pas. C’est un déchirement. Pour toute l’équipe. Mais de toute façon on ne peut rien changer.

Il y a pas longtemps, on a eu un repas avec mes anciens collègues du chantier d’Acropolis. Et puis, on essaye de ne pas y penser. Mais il y en a un qui m’a dit : « Albert, mais quand même, il peuvent pas faire ça, ils peuvent pas détruire l’Acropolis. ». C’était un de nos plus beaux projets ! Quatre ans de sueur, de joie, de souvenirs, de travail … pour ça.

Nice a aussi candidaté comme capitale de la culture mais a été directement éliminée. Pensez-vous que la destruction d’Acropolis, ce lieu qui est quand même un haut lieu culturel , a joué sur son élimination ?

(Il rit) Bien sûr. Et puis, ils ont détruit le théâtre de Nice et la médiathèque. Et Acropolis. Vous savez, ça a coûté 120 millions € de détruire Acropolis… Ca va leur prendre 2 ans pour le détruire. Oui, le maire il a dit 18 mois, mais moi je leur donne deux ans. Avec toute la poussière, le béton… Et le pire c’est les poutres en dessous et les voûtes par-dessus le Paillon. Imaginez, c’est des poutres gigantesques, pour soutenir tout l’Acropolis ! Ils vont prendre énormément de temps pour le déconstruire. Et puis tout de même, présenter sa candidature sans salles de spectacle ? Drôle d’idée !

Eh bien, merci d’avoir partagé ces souvenirs avec nous ! Merci mille fois!

Louise et Lisa