Gros plan : Les jeunes et la réforme du lycée
Le ministre de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, a engagé depuis plusieurs mois une réforme en profondeur du lycée : les filières traditionnelles disparaissent et les élèves sont invités à choisir des enseignements de spécialité. Le bac change également de formule avec seulement 4 épreuves dont un grand oral.
Présentée comme étant plus équitable et comme offrant plus de réussite aux élèves qui seront mieux accompagnés, cette réforme a suscité une grande polémique notamment chez les professeurs de lycées qui depuis plusieurs semaines se mobilisent par le biais de différentes actions pour signifier leur mécontentement : grève, nuit dans les établissement, blocage des notes du bac blanc, moyenne de 20/20 pour tous… les idées ne manquent pas pour lancer un appel au secours. Ils dénoncent notamment la baisse des moyens (humains et financiers) qui accompagne cette réforme.
Force est de constater que dans les faits, selon beaucoup d’entre nous, parents, élèves et professeurs, ce sont des filières L, S et ES qui ne disent pas leur nom qui sont mises en avant, et que cette réforme laisse en réalité peu de place à l’originalité de chacun, puisque certaines triplettes, perçues comme trop fantaisistes, n’ont pas été créées, causant de l’inquiétude chez bon nombre de mes camarades… Pierre, élève en seconde au lycée Honoré d’Estienne d’Orve
Afin de savoir comment la réforme est mise en place dans les lycées, deux anciens élèves du collège, Pierre et Fabio, aujourd’hui en classe de seconde respectivement au lycée Honoré d’Estienne d’Orve et Guillaume Apollinaire ont répondu à nos questions. On y voit un peu plus clair.
1. Que savez-vous de la réforme du lycée en général et dans vos lycées en particulier ?
Pierre : Cette réforme est loin de faire l’unanimité chez l’ensemble des professeurs de lycée. Si ces derniers reconnaissent volontiers la nécessité de réformer le bac en profondeur, et de « casser » un peu l’aspect linéaire des trois seules filières proposées jusqu’ici, S, ES et L. La volonté d’étoffer les combinaisons d’orientation des élèves bientôt en classe de Première est, selon la majorité d’entre eux, une initiative salutaire. Nous savons donc qu’à la fin de l’année de seconde, il nous faudra sélectionner une « triplette » (combinaison de trois spécialités) parmi celles proposées par notre établissement. Les principales critiques quant à cette réforme concernent le fait qu’en réalité, les élèves n’auront à la fin de la Seconde, pas tant de choix que prévu, chaque établissement choisissant les spécialités proposées à leurs élèves, selon celles qui sont, par exemple, revenues le plus souvent revenues chez ces derniers lors d’une consultation à titre indicatif. Une autre critique concerne le fait que cette réforme entre vite en application, et que beaucoup de professeurs estiment qu’elle n’a pas été assez préparée, et qu’ils ne savent pas réellement comment préparer les élèves de Seconde à leur année de Première ! Mais ce qui nous inquiète, nous, élèves, c’est surtout de ne pas savoir en quoi va précisément consister notre Bac… Aucune épreuve n’y est définie avec certitude pour l’instant.
Fabio : En ce qui concerne la réforme du lycée, les filières classiques (L, S, ES) ont été supprimées et ont été remplacées par des enseignements de spécialité. Nous devons en choisir 3 dès la seconde pour notre année de 1ère, notre choix sera approuvé –ou non- par le conseil de classe. Ces enseignements de spécialité sont de 4h par semaine en 1ère.
Puis, en classe de Terminale nous ne conservons que deux de ces spécialités. Elles nous seront enseignées 6h par semaine chacune et constitueront deux des quatre épreuves du nouveau bac. Le nouveau bac aura aussi un grand oral de 20 minutes et une épreuve de philosophie. Le contrôle continu comptera pour une part importante dans l’obtention du Bac (40%).
2. Quelles sont les spécialités proposées par ton lycée ?
Pierre : Les spécialités proposées par le lycée Honoré d’Estienne d’Orves sont au nombre de 9. Ces spécialités ont été regroupées selon les 12 triplettes suivantes :
1) Physique – Mathématiques – SVT
2) Physique – Mathématiques – Numérique et sciences informatiques
3) SES – Mathématiques – Langue Littérature et Culture Étrangère
4) SES – SVT – Mathématiques
5) SES – Histoire des Arts – Langue Littérature et Culture Étrangère
6) Langue Littérature et Culture Étrangère – Humanités, littérature et philosophie – Arts plastiques
7) Histoire géographie, géopolitique et sciences politiques – SES – Humanités, littérature et philosophie
8) Arts plastiques – Physique – Mathématiques
9) Histoire géographie, géopolitique et sciences politiques – Langue Littérature et Culture Étrangère – Humanités, littérature et philosophie
10) SES – Histoire des Arts – Histoire géographie, géopolitique et sciences politiques
11) Histoire géographie, géopolitique et sciences politiques – Mathématiques – Langue Littérature et Culture Étrangère
12) Histoire géographie, géopolitique et sciences politiques – SES – Mathématiques
Fabio : Neuf spécialités regroupées dans 11 combinaisons nous sont proposées.
3. Si je comprends bien, dans vos lycées, les triplettes sont imposées : vous ne pouvez pas composer vous-mêmes votre triplette de spécialités ?
Pierre : C’est exact ! Nous avons eu, au début du deuxième trimestre, une fiche regroupant l’ensemble des enseignements de spécialités proposés par le lycée, où nous pouvions créer nos combinaisons. Puis, celles qui sont revenues le plus souvent ont été retenues, portant leur nombre à 12.
La possibilité de créer une 13e triplette est ouverte, si un nombre conséquent de demandes est formulé quant à l’ouverture d’une treizième triplette en particulier, mais nos professeurs nous expliquent que cela n’a quasiment aucune chance de se réaliser.
Fabio : Effectivement, un sondage a été fait auprès des élèves pour connaître les spécialités qui étaient le plus sollicitées. Suite à ce sondage, on nous a proposé des triplettes toutes faites.
J’ai eu de la chance car toutes les spécialités qui m’intéressent ont été regroupées dans une triplette ! Guillaume Apollinaire est un lycée qui s’adresse aux élèves intéressés par l’art (Arts plastiques, musique, danse), ce qui est mon cas, on peut y suivre de nombreuses options artistiques et les professeurs mènent de très nombreux projets artistiques.
4. Officiellement il n’existe que la spécialité « Arts », d’après ce que vous dites, au lycée Estienne d’Orve elle a été scindée en deux : « Arts plastiques » et « Histoire des Arts » et en trois au lycée Apollinaire : « Arts plastiques », Musique » et « Chant » ?
Pierre : Il semblerait que oui, puisqu’Estienne est un lycée qui propose à ses Secondes des cours différents tels qu’Arts du patrimoine (que j’ai choisi, et qui concerne surtout l’histoire des Arts), et les Arts plastiques (qui concernent la pratique physique des Arts plastiques), et je crois que cette différenciation est beaucoup revenue chez les élèves, puisque c’est un lycée où bon nombre d’étudiants s’intéressent à l’art sous toutes ses formes et dans sa diversité, et que beaucoup y sont attachés.
Fabio : Oui et heureusement, notre lycée a une vocation artistique importante et il était impossible de voir ces enseignements disparaitre !
5. Est-ce qu’il a été difficile pour vous de choisir dès la seconde des spécialités qui orienteront (en partie) vos études futures ?
Pierre : Oui et non. Bien sûr, je savais que je me dirigerai vers un pôle littéraire. Mais le fait de savoir que si nous nous trompons de voie, il nous sera difficile de modifier sa triplette (car il est plus aisé de changer de filière que de spécialités, puisqu’il y en a trois), cela exerce sur nous une certaine pression.
Fabio : À vrai dire, je ne sais pas encore précisément dans quelles études supérieures j’aimerais éventuellement me lancer, mais en revanche, je sais que je vais plutôt me diriger vers un domaine littéraire. J’ai donc pris en compte cette considération lors du choix de mes spécialités, ce qui a facilité mon choix.
6. Est-ce que vous avez été bien informés, en tant qu’élève, sur ce qui vous attend à la rentrée prochaine et sur les changements liés à cette réforme, par exemple sur le nouveau bac ?
Pierre : Pas vraiment, puisque nos professeurs eux-mêmes ne savent quasiment rien du nouveau Bac. Des sites tels que « Pass Avenir » nous permettent néanmoins d’en comprendre les enjeux et de nous créer notre profil, afin de savoir vers quoi nous diriger. Mais cela reste, selon moi, assez primaire…
Fabio : Mes professeurs ont fait de leur mieux pour être clairs dans les explications qu’ils nous ont données sur la réforme. Ils nous ont donné tous les éléments importants de ce nouveau système afin de ne pas se perdre. Mais cette année est un peu perturbante pour nos enseignants, puisqu’ils découvrent presque en même temps que nous les changements auxquels ils doivent nous préparer pour l’an prochain.
7. Que pensez-vous du fait de pouvoir -en théorie- choisir des spécialités appartenant à des domaines très différents ?
Pierre : Sur le papier, cela m’intéressait beaucoup.
Mais force est de constater que dans les faits, selon beaucoup d’entre nous, parents, élèves et professeurs, ce sont des filières L, S et ES qui ne disent pas leur nom qui sont mises en avant, et que cette réforme laisse en réalité peu de place à l’originalité de chacun, puisque certaines triplettes, perçues comme trop fantaisistes, n’ont pas été créées, causant de l’inquiétude chez bon nombre de mes camarades…
Fabio : J’estime que si un élève a une petite idée des études qu’il aimerait poursuivre ou du métier qu’il aimerait faire, il devrait choisir des spécialités cohérentes entre elles, car il faudra bien faire un choix à un moment ou un autre et se spécialiser dans un domaine précis.
A.A et D.M. collège Risso