Portrait: « Je vais retourner chez moi, 18 ans c’est trop! »
Mustafa est à Nice depuis 5 ans. En 2005, il a pris la lourde décision de quitter le Sénégal pour trouver du travail en Europe. Maintenant il affirme à 55 ans : « Je vais retourner chez moi, 18 ans c’est trop! »
Tous les jours, des Niçois traversent la Coulée Verte, située au centre de la ville pour aller travailler, manger ou profiter du beau temps. Mais dans ce portrait idyllique, aucun d’eux ne pourra nier avoir aperçu ou peut-être constaté la présence d’hommes qui, eux, ne semblent pas profiter de ce lieu.
Parfois mal vus, en proie à des critiques racistes, de nombreux migrants s’y sont installés dans l’attente d’une issue plus favorable.
C’est le cas de Mustafa, un Sénégalais de 55 ans, que nous avons rencontré là-bas, alors qu’il venait de passer une nouvelle nuit dehors. A notre demande, il accepte de se confier sur sa vie sans réserve. Nous lui proposons de prendre un café au chaud, il nous suit d’un pas tremblant et mal assuré.
Une aventure européenne loin de ce qu’il imaginait…
D’abord méfiant, il nous explique avoir passé 13 ans en Italie, entre la famille et les aides ponctuelles d’âmes charitables, avant d’arriver en France, à pied, il y a 5 ans.
Puis à mesure que le temps passe et que Mustafa prend confiance, nous découvrons un homme avenant et souriant. La discussion se focalise très vite sur sa famille : d’un faux ton désinvolte, il nous raconte que sa plus jeune fille n’a vu son papa qu’à travers un écran depuis ces 5 années.
N’ayant pour seul document « officiel » qu’un papier froissé et déchiré à renouveler régulièrement au fond de sa poche, il nous explique, les mains tremblantes, qu’il ne peut même plus travailler. Son âge et sa maladie (le diabète) qui l’ont cloué dans un fauteuil roulant pendant quelque temps n’arrangent pas son cas.
Après avoir perdu son travail de plongeur dans un restaurant il y a 4 ans, il n’est plus en mesure de réaliser son projet de création d’entreprise dans le bâtiment. Hélas, impossible de rassembler les fonds pour aider sa famille, ni même rentrer chez lui.
Ironiquement, c’est sûrement pendant la période du confinement qu’il a été le mieux loti, car les autorités l’avaient logé dans un hôtel au chaud. Mais ce fut seulement pendant trois mois.
« ça fait trois ans ! »
Nous fixant de ses yeux rouges et fatigués, il nous révèle qu’il tente sans succès depuis trois ans d’obtenir de l’aide des associations (une à Monaco et une à Nice).
Un réseau de solidarité niçoise
Néanmoins il nous rassure, il n’a pas faim. La ville fournit des repas chauds et il ajoute même que l’OGC Nice vient leur rendre visite tous les vendredi à la Coulée Verte pour leur (lui et ses compatriotes) faire don de vêtements et de nourriture ; d’ailleurs, il porte une chaude veste aux couleurs de l’équipe niçoise. Il nous raconte aller fréquemment utiliser des douches mises à disposition par la ville. Quant au coucher, bien qu’il dorme dehors la majorité du temps, une paroisse voisine, avec le Secours Catholique, offre de temps en temps l’hospitalité et une aide substantielle pour contacter sa famille.
Sa nature sympathique lui a permis de développer des relations amicales dans le quartier, notamment avec une femme qui tient un magasin proche du vieux Nice. Elle l’aide quand elle peut. Et d’un regard soupçonneux, mais peut-être aussi amusé, il se dédouane de toute relation ambigüe avec elle, il est marié ! Pour la première fois depuis une demi-heure, Mustafa rit.
Également, ses compagnons d’infortune complètent cette « famille niçoise ».
Un retour redouté
Mustafa nous avoue n’avoir « pas de complexe pour retourner », il ne veut plus vivre en France dans de telles conditions, malgré la vie au Sénégal qui s’annonce difficile car là-bas, la pression sociale est très forte. Le gouvernement et la presse continuent de diffuser aux Sénégalais une vision de l’Europe idéalisée, où une fois arrivés, les migrants pourraient avoir tout ce qu’ils désirent. Trouver un travail ou devenir « riches ». De ce fait, le récit des migrants revenant dans leurs pays est très peu accepté par les familles. C’est inconcevable ! Certains migrants, face à la pression sociale, se suicident …
Néanmoins nous avons pris contact avec une femme qui travaille dans une association providentielle à Nice, qui aujourd’hui, aide les sans-papiers en créant des réseaux avec différentes associations. Elle confirme que le gouvernement a mis en place des programmes qui les aident à rentrer chez eux, tout en les accompagnant dans la réinsertion dans leurs pays d’origine.
Aujourd’hui nous espérons pouvoir soutenir Mustafa en le dirigeant vers ce type d’aide. Peut-être notre rencontre pourra-t-elle changer sa situation qui est actuellement bloquée.
Par Noëlie Gobatto