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INTERVIEW : L’art face à l’intelligence artificielle

Il faut désormais compter avec l’Intelligence Artificielle. Raisonnement, planification et même créativité sont des domaines qui sont concernés et bousculés par cette nouvelle donne. Dernièrement, une IA fait beaucoup parler d’elle, Chat GPT, qui est désormais interdite dans de nombreux établissements scolaires car des étudiants l’utilisaient, par exemple, pour leur sujet de réflexion. Mais qu’en est-il dans le domaine de l’art ? À partir de mots-clés ou d’une description, les IA permettent aujourd’hui de créer des images, des dessins, des illustrations, des peintures ou encore des photographies. Cela n’est pas sans poser de questions sur la place et le rôle des artistes, sur le statut et la création de l’œuvre en elle-même.

L’IA représente-elle une concurrence pour les artistes ou bien au contraire peut-elle servir les artistes ? Comment l’IA bouscule-t-elle la création visuelle ? Comment les artistes et créateurs doivent-ils apprendre à composer avec elle ?

Adrien Wattel, professeur d’art au lycée René Goscinny, intervient dans le DNMADE (Diplôme National des Métiers d’Art et du Design) graphisme. Il a fait travailler ses étudiants sur cette problématique et considère que face au développement rapide des intelligences artificielles, professeurs et étudiants doivent intégrer ces évolutions à leur pratique de manière positive.

Les IA occupent une place de plus en plus importante dans la société en général et dans la création visuelle en particulier. Quelles sont les conséquences pour le milieu artistique ?
Première conséquence, une perte d’emplois à venir, je pense, et certains métiers de la chaîne de production visuelle vont être touchés. Ça, ce sont les conséquences négatives. Mais je pense qu’il va y avoir aussi de nouveaux emplois créés, des métiers en devenir. Et puis, j’ai envie de dire, il y a une peur qui est légitime, mais c’est un petit peu comme à chaque nouvelle technologie. Il y a une peur qui s’installe dans l’inconscient collectif, comme lors de l’apparition de la photographie, on a eu peur que la photographie fasse disparaître la peinture et on a bien vu que ça n’a pas été le cas. Les créateurs vont devoir apprendre à rester acteurs de leurs images.

Vous avez fait travailler vos étudiants avec des IA, quels étaient les objectifs ?
J’ai travaillé avec les étudiants de deuxième année sur un petit projet : l’idée était de créer un livret de recettes de cuisine dans lequel textes et images étaient générés par des IA. En début d’année, il y avait déjà Chat GPT, mais on ne l’a pas expérimenté parce que je crois qu’il n’était pas démocratisé comme il l’est aujourd’hui. Pour les textes, on a eu quelques difficultés, on a trouvé des choses, mais ce n’était vraiment pas aussi pertinent que Chat GPT actuellement.
Pour les images, par contre, on a utilisé différentes IA, comme DALL-E, Stable Diffusion ou Dream Studio. L’objectif, c’était surtout d’expérimenter ces outils, de se les approprier, de voir comment ils fonctionnaient et jusqu’où ils pouvaient aller. Mais nous n’en sommes pas restés-là puisque j’ai demandé aux étudiants de retravailler les images générées, pour ne pas en rester à l’état zéro de la production de l’IA.

Pensez-vous que dans quelques années, il sera très compliqué de distinguer une œuvre créée par une IA de celle créée par un artiste ?
C’est déjà le cas ! Même si pour un « œil habitué », on va reconnaitre des petits détails, par exemple sur les personnes, car on voit souvent qu’il y a des erreurs au niveau des mains ou des positionnements qui sont parfois un peu étranges. Et puis, il y a une sorte de patine qu’on reconnaît quand même, c’est-à-dire que les IA créent des images un peu trop parfaites, un peu trop lissées.
Il me semble que c’est encore à l’état de prototype, mais il existe des outils de recherches inversées pour savoir si un texte ou une image a été généré par une IA. C’est-à-dire que c’est de l’IA qui détecte de l’IA !
Mais je pense que ça va être de plus en plus compliqué, effectivement. 

Quels avantages les artistes peuvent-ils tirer de l’IA ? Est-ce que l’IA représente une concurrence pour l’art ou peut-elle être bénéfique ?
Les deux. Il y a une concurrence évidente, notamment dans l’illustration, par exemple, les illustrateurs qui font des illustrations vectorielles sont vraiment menacés parce que l’IA génère des images qui sont réellement impressionnantes.
Mais l’IA peut aussi être un outil pour de la ressource documentaire, y compris pour l’illustration, c’est-à-dire que l’IA va permettre de s’inspirer d’une image. Et puis l’autre avantage que moi je vois, c’est qu’il n’y a pas de limite à l’imagination. C’est surtout une matérialisation de l’imagination. C’est dans ce sens-là que c’est intéressant.
Personnellement, ça ne me fait pas plus peur que ça, je pense que c’est un discours qui est assez rare car actuellement on a une peur bleue de l’IA, qui se justifie peut-être … Mais je pense qu’il faut se l’approprier.