Septième édition de “Libri Chronique”, rendez-vous littéraire proposé depuis la période de confinement par Louna, élève au lycée Thierry Maulnier de Nice. Découvrez Enfance, en sa compagnie. Podcast disponible sur Radio Thierry Maulnier au lien suivant :
O.7 — Enfance | Nathalie Sarraute
Oyez, Oyez, cher lecteur, chère lectrice, amoureux des mots ou brebis égarée, je te souhaite la bienvenue sur cette nouvelle édition de Libri Chronique !
Après le roman et le théâtre, soucieuse d’amener un peu de diversité dans tes lectures et avec l’envie de quitter les sentiers habituels dont tu ne connais que trop bien les titres, je m’intéresse aujourd’hui à l’autobiographie, mais attention, pas n’importe laquelle ; une de celles qui brisent les codes, à la constante recherche de la vérité, un voyage fragmenté dont les paysages oscillent entre mouvements de la conscience, tropismes, comme on dit, et ceux de la presque odyssée humaine d’une petite fille qui a, plus tard, bien plus tard, changé la face de la littérature française. Tu n’as pas encore deviné ? Je te parle d’Enfance, écrit par Nathalie Sarraute.
En 1983, lorsqu’elle s’attelle à la rédaction d’Enfance, récit autobiographique de ses onze premières années, qui casse les codes littéraires du genre et de déjoue de ses schémas traditionnels, Nathalie Sarraute, avocate, romancière, juive résistante pendant la guerre, saluée par Sartre et Max Jacob — entre autres — a 83 ans, tout pile, et cherche dans l’écriture, quoiqu’avec une certaine méfiance à l’égard de son projet, un moyen de faire ressurgir des méandres de sa mémoire, la vivacité, l’intensité de ces émotions débordantes qui l’ont traversée, et dont elle ne garde que les souvenirs fugitifs de ce que la petite fille en elle a su retenir, qui lui restent comme un lointain écho de celle qui a été, et qui n’est plus vraiment, même si profondément enracinée en elle.
Enfance, c’est la petite Natalia Tcherniak, Tachok, de son surnom, qui regarde le monde avec sa naïveté touchante, éprouve les premiers élancements vers l’écriture en découvrant le français, la complexité des sentiments et des relations humaines, alors qu’elle voyage entre sa mère, son amour immense et contrarié, et son père tendre, plein de silences ; entre ses parents divorcés et déchirés, entre Ivanovo en Russie, et Paris, au tout début du vingtième siècle. À travers un dialogue qu’elle tient avec elle-même, qui évoque des fragments épars de cette jeunesse qu’elle cherche à retranscrire, Sarraute nous livre quelque chose de brut, sa personnalité, un portrait tranchant qui l’amène à se questionner sur ce qui fait sa propre identité.
J’ai beaucoup apprécié la fluidité du style, sans complaisance, sans fioriture ; la sévérité du dialogue entre Sarraute et son double, tantôt critique, la mettant en garde contre la tendance au préfabriqué, à l’emphase romanesque et aux pièges traditionnels de l’entreprise autobiographique, cette voix qui veut dire la vérité, mais aussi la pousser à approfondir, à remettre en question, à détailler, analyser, décortiquer ; Enfance est une autopsie, mais une autopsie très juste, car chaque mot paraît avoir été pesé, mûri, apposé avec soin au milieu de tous les autres. On s’y retrouve, et en même temps, on s’y perd un peu, on reste là, saisi quelque part par cette violence informulée et grondante, dans le regard d’une petite fille promise à l’éminence littéraire, mais qui ne le sait pas encore…
Alors, Enfance, me demanderas-tu, lecteur zélé ? Évidemment, pour s’initier à la puissance des mots et… à celle des silences, qu’on n’aura jamais brisés.
Générique ~