06 — Incendies | Wajdi Mouawad [A]

Sixième édition de “Libri Chronique”, rendez-vous littéraire proposé depuis la période de confinement par Louna, élève au lycée Thierry Maulnier de Nice. Découvrez la pièce Incendies, en sa compagnie. Podcast disponible sur Radio Thierry Maulnier au lien suivant :

O.6 — Incendies | Wajdi Mouawad

Oyez, Oyez, cher lecteur, chère lectrice, amoureux des mots ou brebis égarée, je te souhaite la bienvenue sur cette nouvelle édition de Libri Chronique !

Aujourd’hui je me penche pour la première fois sur le théâtre, avec une pièce, non pas classique, mais contemporaine et très pertinente, car enracinée dans l’actualité, tirant ses grands axes dans les conflits armés qui sévissent au Moyen-Orient et allant même jusque dans la tragédie antique ; à mi chemin entre guerre, mythe d’Œdipe, immigration, mathématiques et quête identitaire, cette œuvre complexe et sublime saura à coup sûr ébranler toutes tes certitudes et te laissera, je n’en doute pas une seconde, haletant, à bout de souffle. Alors c’est parti, commençons : aujourd’hui je te parle d’Incendies, de Wajdi Mouawad.

Acteur, écrivain et dramaturge libanais ayant fui la guerre civile avec sa famille, Wajdi Mouawad est aujourd’hui une figure théâtrale majeure ; Incendies, parue en 2003, second volet d’une tétralogie intitulée « Le sang des promesses », centrée autour des thèmes de l‘héritage et de la transmission, après Littoral et avant Forêts, se distingue par sa naissance pour le moins particulière. En effet, la pièce présente la particularité d’avoir été écrite au cours même des répétitions avec la troupe de comédiens qui allait la jouer, ses personnages étant donc largement influencés par les personnalités de chacun, sans compter l’expérience de réfugié que Mouawad a vécu dans sa jeunesse. Cela est d’autant plus intéressant que la pièce, lorsqu’elle est lue, paraît, ou m’a parue, en tout cas, un vrai challenge de mise en scène.

Incendies, ça raconte l’histoire de Jeanne et de Simon, faux jumeaux, qui, à la mort de leur mère Nawal, se retrouvent pris dans un étau de doutes et remettent en question toute l’histoire de leurs origines, de leur naissance, si loin du pays de leur mère ; le notaire, conformément au testament de Nawal, leur remet à chacun deux enveloppes, l’une pour un père qu’ils n’ont jamais connu, l’autre pour un frère dont ils ignoraient l’existence. Simon, pétri de colère, se refuse à cette quête qui voudrait l’amener sur les traces d’un passé étranger, qu’il veut nier plus que tout au monde, mais il n’en est pas de même pour Jeanne, qui éprouve un besoin viscéral de percer le mystère, de comprendre, enfin, qui elle est, pourquoi Nawal a gardé le silence toutes ces années, est morte sans avoir dit un mot. Mais sont-ils vraiment prêts à payer le prix de ces révélations…?

Ce que j’ai trouvé de particulièrement saisissant dans Incendies, c’est l’inégalité dans la violence du style de Mouawad, en plus d’un fil narratif savamment constitué ; il y a une puissance tragique indiscutable, quasi palpable dans cette pièce. Les personnages se croisent sur scène à tous les âges, les lieux se fondent en un, le temps se distord à mesure que les noeuds de l’intrigue se font et se défont. C’est une œuvre intense, qui ne laisse pas souffler et se lit presque trop rapidement, surprend par son humour absurde ou abasourdit par la crudité du propos, les retranchements dans lesquels le lecteur est poussé page après page, en même temps que Jeanne et Simon consumés par leur propre histoire, en même temps que Nawal qui nous ouvre les yeux sur les valeurs des hommes comme sur ce qu’ils ont de pire, sur ce que c’est l’amour quand ça déchire et la guerre quand ça décime.

Alors, Incendies, me demanderas-tu, lecteur zélé ? Tout de suite, je dirais même à saisir au vol, pour la poigne du récit et… son impartiale intégrité.