LES JEUX SONT FAITS ! Le sexisme : ça commence in utero

(copie d’écran du site Maxitoys, janvier 2021)

LE MARKETING, AU COEUR ET VECTEUR DU SEXISME

Vous l’avez sûrement encore remarqué à Noël : les jouets sont stéréotypés. Certes, ils ne le sont pas tous, mais la majorité le sont. La plupart des sociétés du monde ont dressé un mur entre les univers de jeu des garçons et des filles. Nous, nous allons nous pencher sur les sociétés occidentales, qui veulent voir la petite fille se déguiser en princesse et le petit garçon en chevalier. Néanmoins, ce monde binaire n’a pas toujours existé. Dans les années 70, les publicités représentaient sans souci des garçons s’amusant avec des poupons et des filles bricoler. Un article du New-York Times datant du 30 octobre 2015, cite les recherches d’une sociologue de l’Université de Californie montrant qu’en 1975, seuls 2% du catalogue Sear étaient genrés. Aujourd’hui, les enfants sont séparés par une asymétrie des envies de la société et des cloisons sexistes. Ce phénomène s’explique également par l’influence grandissante du marketing, dans les années 90, qui a grand intérêt à segmenter le marché. Les fabricants ont tout simplement adopté une stratégie leur permettant de multiplier leurs ventes et d’ainsi augmenter leur profit, qui repose sur la difficulté des parents à transmettre les jouets achetés pour leur garçon à leur fille, et inversement, puisqu’en vendant des jouets codifiés visuellement par des couleurs, ils se transmettent moins facilement au sein de la fratrie : un garçon en vient à refuser d’utiliser le vélo rose de sa grande sœur. Les parents se voient donc dans l’obligation d’en racheter un autre. Le recyclage en famille est alors freiné, voire stoppé.

Catalogue de Carrefour, 2014.

LES JOUETS ET LE RENFORCEMENT DES INEGALITES SEXUELLES

La société sexiste contemporaine, dans laquelle l’enfant commence sa vie dans de telles restrictions, dresse les conditions d’une trajectoire fragilisant le « vivre ensemble », limitant socialement le champ professionnel féminin, et rendant différentes, voire incomparables les compétences acquises par les deux sexes. Cela accentue donc les inégalités professionnelles hommes-femmes. En France, en 2014, les femmes ne représentent que 16% des chefs d’entreprise et 40% seulement de la totalité des cadres supérieurs (Observatoire des Inégalités). Cela est dû à la reproduction de l’ordre genré, qui lui-même est provoqué par la construction d’une hiérarchie, menant à la quasi négation de l’être humain né fille. Par ailleurs, il est primordial de savoir que dès l’âge de 3 ans, l’enfant débute sa socialisation, qui est le processus durant lequel l’individu intériorise des normes et des valeurs qu’il percevra comme innées lorsqu’il sera adulte et qu’il sera susceptible de transmettre à ses potentiels futurs enfants. Ce qu’il faut entendre par là, c’est que l’éducation qu’à eu l’enfant d’hier aura des répercussions sur la société de demain et que pour atteindre l’équité parfaite entre les sexes, il faut agir, et ce, en garantissant une socialisation fondée sur l’égalité et le « jouer ensemble ».

LES FABRICANTS ET LES CONSOMMATEURS, TOUT AUTANT RESPONSABLES

Vous avez sûrement dû recevoir un tas de catalogues de jouets dans votre boîte aux lettres. Si vous les avez feuilletés, vous savez alors que les jouets ne sont pas seulement classés par tranches d’âges, mais aussi par genres. De la même sorte que lorsque vous vous rendez dans un magasin de jouets et que vous vous adressez à un vendeur, il vous demande : « C’est pour une fille ou un garçon ? » et non pas : « Qu’est-ce qui ferait plaisir à l’enfant ? », comme si notre préférence pour les poupées ou les voitures dépendait de notre ADN de fille ou de garçon. Les rayons de magasins, le packaging du jouet… tout cela est sans cesse codifié par les couleurs que sont le rose et le bleu. Les zones bleues indiqueront aux garçons le chemin d’une vie remplie de violences, dans lequel ils devront être héroïques, avec des jeux qui sont le plus souvent bruyants, comme des avions ou des voitures de courses. Les zones roses, quant à elles, montreront aux filles la voie de la passivité, dans laquelle elles seront obligées d’être disciplinées, avec des jeux discrets, comme des dînettes ou des tenues de princesse.

Catalogue de King Jouet, 2019.

Cependant, si ce sont les fabricants les premiers responsables, ils ne font que mettre à la vente des produits très demandés par les consommateurs. Les parents, en termes d’inégalités sociétales, ont alors une responsabilité considérable, étant donné qu’ils les nourrissent par l’éducation qu’ils donnent à leurs enfants.

IMPACTS DANGEREUX SUR LE LONG TERME

Les impacts de cette différenciation que nous avons établi entre le « sexe fort » et le « sexe faible » sont très nombreux et dangereux, d’un point de vue social. Le fait que nous poussions nos garçons à aimer la violence, les armes et la guerre, peut expliquer le fait que 97% de la population carcérale française, en 2019, est constituée d’hommes (Statista). Cela peut aussi justifier le fait qu’une femme sur trois meure tous les trois jours sous les coups d’un homme. Selon le ministère de l’Intérieur, en 2018, 121 féminicides ont eu lieu au sein des couples en France. De plus, par les jouets que nous leur offrons, nos filles se sentent obligées d’être belles aux yeux des hommes. De la sorte, elle font le nécessaire pour leur plaire et participent toute leur vie à une course à la beauté. Selon un sondage IFOP, qui date de 2018, 10% des françaises de plus de 18 ans, ont déjà eu recours aux opérations mammaires et à l’épilation au laser. Sans oublier le fait qu’une étude du magazine féminin Grazia, montre que les femmes dépensent 12 600 euros en moyenne de maquillage dans leur vie.

LES MARQUES QUI REGRESSENT A UNE VITESSE AFFOLANTE

Leclerc, Lego, Playmobil, Intermarché, Auchan, Carrefour… ces enseignes seraient parmi celles qui sont au top des jouets genrés. Les trois dernières se partageraient un affligeant podium car elles pullulent de clichés, d’images stéréotypées et de couleurs binaires. Il y a aussi celui qui se dit être le « Spécialiste du jeu et du jouet pour filles ou garçons, de 0 à 12 ans et plus », à savoir le site Maxi Toys, dans lequel, en janvier 2021, l’on peut encore apercevoir un sexisme en force. « Maxi stéréotypes » peut-on lire dans la campagne « Marre du Rose » qui, en 2018, a attribué des notes aux différentes enseignes. Les associations à l’origine de cette campagne ont également mis la note de 2/20 à la Grande Récré, suivie du commentaire : « Pourrait difficilement faire pire ! ».

Pour voir l’affiche, vous pouvez cliquer sur le lien ci-dessous :

https://marredurose.olf.site/mener-la-campagne-avec-nous/guide-de-noel-contre-le-sexisme-2018/

Twitter / @goetter. Cette photo aurait été prise dans le centre Leclerc, en 2017.

DES DECISIONS QUI VIENNENT CONTRECARRER LES STEREOTYPES

Même si elles se comptent sur les doigts de la main, certaines marques sont investies dans la lutte contre le sexisme. Dès 2015, l’enseigne Super U a lancé un catalogue de jouets unisexes. En le feuilletant, nous pouvons découvrir un jeune garçon déguisé en Iron Man, jouer à la poupée ou bien une petite fille occupée sur un circuit de voiture. Hors de la France et depuis 2013, des campagnes sont menées : « Let Toys Be Toys » au Royaume-Uni, « No Gender December » en Australie, les catalogues dégenrés en Suède et les publicités de l’enseigne ToyPlanet qui font sensation en Espagne.

LE GOUVERNEMENT FRANCAIS INTERVIENT

En 2014, un rapport d’information sur l’importance des jouets dans la construction de l’égalité entre les filles et les garçons, rédigé par Chantal Jouanno et Roland Courteau, avait été remis au Sénat. Dix recommandations avaient été faites. La première a abouti le 24 septembre 2019, lorsque l’État français et les acteurs de la filière jouets ont signé une charte pour lutter contre le sexisme, afin de favoriser « une représentation mixte des jouets ». Cette charte consiste en fait à défaire les inégalités entres les deux sexes qui proviennent des jouets offerts aux enfants durant leur socialisation. Un an après, un guide pratique à destination des professionnels du secteur existe et un module de formation à destination des vendeurs est mis en place. Il y a 3 mois, une charte réactualisée a été signée. Néanmoins, elle est seulement incitative et n’a aucun caractère obligatoire.

Moon

NB : Si le sujet vous intéresse, je vous invite à cliquer sur le lien ci-dessous qui présente une campagne d’affichage de novembre 2017, provenant de l’association de Cergy, dans le Val-d’Oise, qui grâce à Internet et aux partages sur les réseaux sociaux a pris une ampleur considérable. Elle s’intitule « L’égalité commence avec les jouets » et a connu et connaît toujours un grand succès, du fait de la cause qu’elle défend et de sa diffusion spectaculaire.

https://cdn.radiofrance.fr/s3/cruiser-production/2017/11/b962f887-693e-4c99-b394-27e14b667be1/870x489_ok_image_1.webp